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Le Quatuor Tchalik et Edgar Moreau au Théâtre des Champs-Elysées – D’une seule voix – Compte-rendu

 

Première jolie idée : avec ce programme, Edgar Moreau, jeune violoncelliste prodige (Prix « jeune soliste » du Concours Rostropovitch à quinze ans, médaille d’argent au Concours Tchaïkovski à dix-sept, première Victoire de la musique à dix-neuf, …) avait choisi de ne pas tirer la couverture à lui. Car Edgar Moreau est soliste autant que chambriste —et ce depuis l’enfance. Ce faisant, il se place aussi dans la lignée de quelques illustres aînés (Marc Coppey, Henri Demarquette, Jean-Guihen Queyras).
 

Edgar Moreau © Julien Mignot
 
Personne ne niera que l’Himalaya des violoncellistes soit le corpus des six Suites de J.-S. Bach. Chacune est un Everest en soi. On avouera ici avoir ressenti un embarras durant les trois premières pièces de la Suite en do majeur (Prélude, Allemande et Courante) du fait d’un archet comme enroué (problème de colophane, effet de trac ?). Mais, de même que parfois les nuages disparaissent du ciel sans qu’on les ait vus s’évaporer, cette gêne disparut dès les premières notes de la Sarabande. La beauté du phrasé, la sonorité pleine, montant sans peine jusqu’aux dernier rang du dernier balcon, les couleurs (notamment celles déployées dans les reprises, subtilement différenciées) s’épanouirent jusqu’à la Gigue finale, jouée dans l’esprit de cette danse endiablée, à train d’enfer. Avouera-t-on avoir regretté de ne pas  entendre une autre de ces six Suites dans la foulée ?
 
On ne trouvera aucune œuvre du répertoire de musique de chambre plus appréciée que le Quintette à deux violoncelles de Schubert —devenue « grand public » depuis que, dans le film que Reichenbach lui avait consacré en 1969, Artur Rubinstein avait déclaré vouloir mourir en écoutant son mouvement lent. Ce quintette à effectif rare (ceux de Mozart et de Brahms comportent deux altos)  fait parties des pièces du répertoire les plus enregistrées  : plus de cinquante enregistrements connus — dont le célébrissime Pablo Casals-Isaac Stern de Prades en 1952, qui en donne une version à portée métaphysique. Face à ce défi, les Tchalik et Edgar Moreau ont choisi une option totalement personnelle. Rien dans la puissance, tout dans la finesse et les couleurs. Une poésie du salon pour les amis (la « Schubertiade ») et non pas une « symphonie en réduction ».

 

© Steve Murez

D’entrée se confirme la cohésion du Quatuor Tchalik (1) et sa plasticité interne quand il joue en quintette : Marc Tchalik, déjà salué ici, nous a stupéfié par la souplesse et la présence de son archet, parfaitement « raccord » avec celui d’Edgar Moreau – qui, lui, conféra un poli de diamantaire à ses pizzicati d’entrée du mouvement lent. Mais pas seulement : tout dans le comportement de ce soliste confirme la place de choix que tient la musique de chambre dans sa vie.
Le moment le plus prenant de ce concert fut sans doute la partie centrale (le trio) du 3ème mouvement, auquel ce groupe de cinq musiciens parlant d’une seule voix a donné un spectre de couleurs inédites. Le trio d’un scherzo est souvent une zone d’intimité. Ici, on se serait cru tout à coup, comme dans une sorte de lied imaginaire, en pleine nuit, quand on rumine et rumine encore ce qui vous empêche de vous rendormir. Magique. Le public ne s’y est pas trompé qui a applaudi ce mouvement à tout rompre. Il reste à formuler deux souhaits : celui qu’Edgar Moreau enregistre un jour les Suites pour violoncelle seul de J-S. Bach, et celui d’entendre un programme de quatuors à cordes par le Quatuor Tchalik.
 
Stéphane Goldet

(1)  www.concertclassic.com/article/le-quatuor-tchalik-pierre-genisson-et-didier-sandre-au-college-des-bernardins-musique-et
 /// www.concertclassic.com/article/le-quatuor-tchalik-interprete-les-deux-quatuors-de-camille-saint-saens-le-disque-de-la
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 7 novembre 2021

Photo © Steve Murez
 

 
 

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