Journal

Le Crépuscule des Dieux à l’Opéra Bastille - Non, mais … - Compte-rendu

On retournait à ce Götterdämmerung un rien craintif, et on avait raison. Rien n’y a changé, l’ironie constante, cette manière de jouer durant les deux premiers actes la farce bourgeoise – Brünnhilde rangeant le nécessaire à thé qu’elle offre à Waltraute dans son vaisselier, comble du ridicule !, les hommes d’armes de Hagen transformés en joyeux membres du syndicat de la route des vins du Rhin avec leurs fanions à grappes de raisins … Et le ton morne du III, avec son inénarrable final – Brünnhilde toastée sur son grille-pain attrape-mouche, les Walkyrie descendues à coup de game gun - ; non vraiment cela n’est pas possible. La régie de Günter Krämer a beau jeu de s’abriter derrière une volonté de lecture où chaque péripétie de l’histoire est clairement exposée ; son manque d’inspiration, ses petits arrangements, ses tics, son univers dérisoire n’en apparaissent que plus implacablement.

Et la musique ? Philippe Jordan a renoncé à sa lenteur narcissique, il fait tout ce
Götterdämmerung fluide, même le I dont les deux heures passent sans qu’on en ait conscience, miracle du temps wagnérien enfin saisit par celui dont le père, Armin, connaissait tous les arcanes. C’est justice, enfin, d’autant que le jeune homme n’a pas abdiqué son culte karajanesque du beau son qu’illustre par ailleurs un superbe disque consacré aux Ballets Russes (1). Voyage sur le Rhin ailé (malgré Siegfried tirant sa barque à roulette), Marche funèbre d’une élégance de mouvement, d’une atmosphère, d’une tenue exemplaires (là encore l’ombre de Karajan se profile), et partout sous le récit des chanteurs un orchestre ductile, vibrant, coloré, expressif. La reprise complète du Ring, filé dans deux semaines en quatre soirées promet, rien que pour lui.

Le plateau reste hélas dépareillé. Deux incarnations transcendantes : le Hagen stentorien de Hans-Peter König, indiscutable de présence dramatique même cloué dans son fauteuil roulant, et la Waltraute torturée, brûlante de Sophie Koch (2) dont les aigus rayonnent. Superbe, comme sa deuxième Norne. Edith Haller, qu’on sent un rien intimidée, délivre une belle Gutrune, surtout dans sa grande scène après la mort de Siegfried (« War das sein Horn ? »), Torsten Kerl reste ce Siegfried nasal, de format modeste mais musicien toujours, et miracle, lors des échanges avec Hagen autour du souvenir de ce que lui a dit l’oiseau de la forêt, la voix s’ouvre, le timbre se pulpe : Kerl est-il en train de découvrir tout son instrument ? Peter Sidhom n’en peut plus et savonne son Alberich : il est temps qu’il renonce, tout grand comédien qu’il soit. Evegeny Nikitin impressionne peu en Gunther, de son timbre pas assez creusé. Les filles du Rhin et les Nornes sont exemplaires, parfaitement appariées. Et Brünnhilde ? Pardon mais le chant de Petra Lang, sans ligne, tiré, écrasé, faible en mot et en justesse est pour notre oreille impossible. On admire l’actrice, on reconnaît qu’elle va crânement à l’Immolation (et vocalement elle l’assure), mais la soirée durant elle nous a trop fait souffrir.

Jean-Charles Hoffelé

(1) Debussy : Prélude à l’après-midi d’un Faune / Ravel : Boléro, Stravinsky : Le Sacre du Printemps, Orchestre de l’Opéra National de Paris, dir. Philipe Jordan, Naïve V 5332.

(2) Decca vient de faire paraître en DVD la captation d’une nouvelle Ariane à Naxos de Richard Strauss où l’on retrouve Sophie Koch dans un emploi qui la révéla au public de l’Opéra de Paris : le Compositeur. Il y est irrésistible, un cran au-dessus du reste de la distribution qui aligne pourtant l’Ariane de Renée Fleming, la Zerbinette de Jane Archibald et le Bacchus de Robert Dean Smith, la Staatskapelle de Dresde est dirigée par Christian Thielemann, mise en scène de Philippe Arlaud (1 DVD Decca 0743809).

Wagner : Le Crépuscule des Dieux - Paris- Opéra Bastille – 3 juin, prochaines représentations les 7, 12, 16 et 26 juin 2013 / www.operadeparis.fr

> Programme détaillé et réservations de l'Opéra Bastille

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Jean-Charles Hoffelé

Photo : Opéra national de Paris/ Elisa Haberer
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles