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​La Walkyrie (version E. Kloke) à l’Opéra de Marseille – Demi-hoïotoho et Françaises en forme au Walhalla

Sacrée pandémie ! Au-delà des galères, elle nous aura permis de vivre quelques expériences hors du commun, voire insolites, et ce, même à l’opéra. Ainsi, pour maintenir sa Walkyrie, l’institution lyrique marseillaise a décidé de proposer le « tome 2 » du Ring dans une adaptation semi-scénique.
Les avantages collatéraux (il peut y en avoir !) des contraintes sanitaires auront donc donné l’opportunité à l’Opéra de Marseille de créer en France la version "pour orchestre de taille moyenne" de la Walkyrie signée du chef et compositeur allemand Eberhard Kloke – la totalité de la Tétralogie ayant d’ailleurs été réduite par ses soins (1).
 
Adrian Prabava © S. Yamamoto

Loin de la centaine de musiciens requis à l’origine par Wagner et peu souvent réunis ensuite pour diverses raisons, notamment économiques, une soixantaine d’instrumentistes se retrouvaient en fond de scène derrière deux rideaux de tulle, l’un noir, l’autre gris. L’orchestre de l’Opéra de Marseille, dirigé avec intelligence et sens de la nuance par Adrian Prabava, qui maîtrise son Wagner jusqu’au bout de la baguette, a livré la partition sans grands éclats de cuivres ni tsunami de cordes, attentif à la version élaborée par E. Kloke, mettant en valeur les situations empreintes d’humanité qui émergent du volet le plus intimiste du Ring.
 
Même recherche dans la direction d’acteur de Charles Roubaud. Version "semi-scénique" au sens propre du terme puisque l’action se déroule sur le quart avant de la scène augmenté d’un proscenium recouvrant la fosse. Pourquoi, alors, faire compliqué lorsqu’on peut faire simple ? Partant de ce principe et se souvenant des idées appliquées dans la version 2007 de sa Walkyrie (celle qui aurait dû être reprise ici), le metteur en scène use, sans abuser, de projections photographiques et vidéos signées Camille Lebourges. Il y installe les affrontements, Hunding/Siegmund, Fricka/Wotan, mais aussi l’amour incestueux de Siegmund et Sieglinde et filial, Brünhilde/Wotan au sein de scènes rapprochées qui mobilisent l’attention et exacerbent les sentiments ; plutôt réussi.
 

Petra Lang (Brünnhilde) & Samuel Youn (Wotan)
 
La grande frustration vient de l’absence de chevauchée des Walkyries, passée à la trappe et avec elle l’entrée individuelle de chacune des sœurs venant déposer au Walhalla les dépouilles des héros tombés au champ de bataille… Quelque six minutes perdues qui ont fait partie de la vingtaine coupée ça et là afin que tout soit terminé ... avant 23 h 30 ! On ne sait trop si cela était imposé afin d’être syndicalement correct, pour éviter d’avoir à mettre la main à la poche en cas d’heures supplémentaires ou pour toute autre raison. Une chose est certaine, Marseille n’est pas Bayreuth et c’est un demi-hoïotoho qui a été servi à deux pas du Vieux-Port.
 
Si la Brünnhilde de Petra Lang, en petite forme vocale, fut loin de nous séduire avant un final assez réussi, c’est grand plaisir que de saluer ici les excellentes performances des mezzos tricolores Sophie Koch et Aude Extrémo (photo à g.). La première, émouvante Sieglinde déborde de sentiments et d’émotion mis en valeur par son jeu et une voix bien projetée, avec un soupçon de retenue au moment de lâcher les aigus. Une prise de rôle réussie.
Aude Extrémo, elle, remplaçait Béatrice Uria-Monzon souffrante. Toute de cuir noir vêtue, à l’instar de son Wotan d’époux, elle a livré en compagnie de ce dernier, incarné par Samuel Youn, un duo dans la lignée des grands moments lyriques wagnériens. De la puissance, une ligne de chant pure et tranchante, une présence scénique idéale : frissons et bonheur garantis. Quant aux Walkyries (2) – pour ce qu’il leur restait à chanter ... – elles ont livré le meilleur d’elles-mêmes.
Nicolas Courjal (Hunding), Sophie Koch (Sieglinde) & Nikolaï Schukoff (Siegmund) © Christian Dresse
 
S’il est un rôle que le ténor Nikolaï Schukoff maîtrise parfaitement, c’est celui de Siegmund. En lui proposant de venir chanter à Marseille, le directeur de l’opéra Maurice Xiberras avait toutes les chances de jouer gagnant, ce qui s’est produit. A ses qualités vocales indéniables, puissance, projection assurée, nuances, l’Autrichien allie une présence scénique de tous les instants, alternant torture mentale et bonheur extatique avec passion et persuasion. Quant au Hunding de Nicolas Courjal, le rôle colle parfaitement à son interprète, dense, sombre, violent, tant vocalement que scéniquement.
 
Tout compte fait, cette Walkyrie a le mérite d’avoir été maintenue dans des conditions pour le moins délicates. On ne pourra que regretter les coupes évoquées plus haut mais nous avons été agréablement surpris par le résultat sonore de la version Kloke et grandement séduit par une distribution au sein de laquelle les chanteuses françaises tirent leur épingle du jeu.
 
Michel Egéa
(1)       hwww.universaledition.com/eberhard-kloke-3610/works
(2)        Jennifer Michel, Ludivine Gombert, Laurence Janot, Lucie Roche, Corine Sechaye, Cécile Galois, Marie Gautrot, Julie Pasturaud
 
Wagner : La Walkyrie (version E. Kloke) – Marseille – Opéra, 9 février ; prochaines représentations 13 février (14 h 30) & 16 février (19 h.) 2022 // opera.marseille.fr/programmation/opera/la-walkyrie
 
Photos © Christian Dresse
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