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La Vivandière de Benjamin Godard au Festival Radio France Montpellier - Une interview de Patrick Davin, chef d’orchestre

Une fois de plus le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon s’apprête à faire le bonheur des curieux de raretés lyriques avec La Vivandière de Benjamin Godard (1849-1895), figure oubliée de la seconde moitié du XIXe siècle français. Prématurément décédé en janvier 1895, le musicien n’eut pas le bonheur de goûter au succès d’un ouvrage dont l’orchestration des actes II et III avait été achevée par Paul Vidal et qui fut créé à l’Opéra Comique, le 1er avril 1895.

Sur un livret d’Henri Cain, La Vivandière se situe à la fin de l’insurrection vendéenne. Après une mémorable Thérèse de Massenet (1) l’an passé, Nora Gubisch retrouve l’atmosphère de la Révolution française et tient à nouveau le rôle-titre, le 24 juillet, aux côtés de partenaires tels que Omo Bello, Florian Laconi ou Etienne Dupuis. Epris de répertoire français, Patrick Davin dirige l’Orchestre National Montpellier Languedoc Roussillon. Concertclassic l’a interrogé sur la partition qu’il s’apprête à défendre, mais aussi à propos du mandat de directeur artistique et musical que le chef belge exercera officiellement à compter de la rentrée prochaine à l’Orchestre Symphonique de Mulhouse.

Qu’est-ce qui, à votre sens, fait la singularité de La Vivandière de Godard que vous dirigez bientôt à Montpellier ?

Patrick Davin : Je pense que, lorsque l’on découvre une partition telle que La Vivandière, on ne gagne pas à se voiler la face et à se lancer dans un éloge absolument inconditionnel. Il reste que je suis très étonné par ce que je trouve dans une œuvre qui présente beaucoup de qualités, même si cela va demander un grand investissement de la part de tout le monde. Il faut que ça soit très bien chanté, très bien défendu, avec beaucoup de conviction ; mais la distribution est de ce point de vue très encourageante. Manifestement on a affaire à un compositeur très doué qui écrivait à toute vitesse. Je me suis laissé dire par des amis qui connaissent bien Benjamin Godard que sa prolixité frisait parfois l’exploit. Même si La Vivandière peut paraître en plein décalage par rapport à ce que d’autres écrivent à la même époque, il est frappant de découvrir chez Godard toute une série de préoccupations qui, finalement, se révèlent être les mêmes que celles de compositeurs bien plus aventureux, bien plus importants – appelons les choses par leur nom – dans l’histoire de la musique, notamment en ce qui concerne la brièveté, la concision – qualités rares chez les compositeurs d’opéra -, les sources d’inspiration.

Je suis quelqu’un de très éclectique et je me suis beaucoup intéressé à la chanson française - à laquelle un grand Belge a notamment donné ses lettres de noblesse.
Je sens un peu la patte de la chanson française dans La Vivandière, avec des numéros très brefs, qui évitent le développement, avec un accompagnement simple mais parfois très efficace. Godard est un compositeur qui pratique des moments fugitifs - pour reprendre un titre de Prokofiev – dont il faut saisir la couleur particulière. Sa partition comporte des choses étonnantes comme par exemple le Duo du serment (Acte l n°5)  entre Jeanne et Georges : on y découvre une non-mélodie sur une même note (un do) pendant trois pages et c’est l’harmonie qui change en-dessous.

La Vivandière comporte quatre numéros de ballet. Si l’un d’entre eux joue les utilités, les trois autres sont vraiment charmants, pétillants, à condition de leur apporter la vivacité nécessaire. Il prouvent que Benjamin Godard connaissait très bien son arbre généalogique : le ballet militaire me fait penser, avec moins de talent, aux ballets de Rameau, mais plus encore à certains ballets de Grétry. 

Vous prenez officiellement vos fonctions de directeur artistique et musical de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse à la rentrée prochaine : quels seront les grands axes de votre programmation ?

P. D. : J’entame à la rentrée un contrat de trois ans et j’ai décidé de mettre un thème sur chacune de ces trois années. Un peu en clin d’œil, la première s’intitule « L’Année belge ». C’était l’occasion de faire entendre des compositeurs (Franck, Lekeu, Boesmans, plusieurs jeunes créateurs), des interprètes belges, car il y en a beaucoup et de grande qualité, de mettre l’accent sur certaines inspirations (ex. Maeterlinck).

Par ailleurs, l’Orchestre de Mulhouse a été pensé pour être l’un des deux orchestres de l’Opéra du Rhin. Nous avons tout ce qu’il faut du côté des vents, mais nous disposons d’un nombre un peu limité d’instruments à cordes. J’ai essayé de trouver dans le répertoire et même le très grand répertoire des pièces qui, tout en étant magnifiques, correspondent à l’effectif de l’orchestre : en bref, plutôt Beethoven, Mendelssohn, Schumann que la 9ème de Mahler.

Je vais par ailleurs ouvrir le répertoire sur la musique du XXe siècle et sur la création, mais aussi vers le répertoire de la musique ancienne, en m’inspirant du travail qui s’effectue à l’Opéra de Zurich (commandes d’archets, instruments montés en boyau, stages de formation). Bâle et sa Schola Cantorum sont à 25 km de Mulhouse et des gens tels que la violoniste Amandine Beyer seraient ravis de nous apporter leurs conseils. Je pense qu’un orchestre sachant se montrer « tout-terrain », comme cela va être le cas pour celui de Mulhouse, dont les musiciens sont très motivés, a finalement un avenir plus serein et plus chargé que des orchestres plus importants où des expériences aventureuses ne concernent qu’un tiers ou un quart de l’effectif.

La salle de La Filature, qui est une scène nationale, accueille à la fois l’opéra, le ballet et le symphonique. La présence de ce dernier ne peut donc être accrue démesurément. Nous restons sur la formule d’une saison de neuf concerts, mais deux d’entre eux sont toutefois remplacés par des « festivals ». En décembre, nous aurons un Festival Beethoven, dont le grand-père était de Malines – c’est une petit clin d’œil -, sur trois jours, avec un symphonie chaque jour, trois solistes invités : Tedi Papavrami, Nelson Goerner et Marc Coppey – un musicien originaire de Colmar, qui n’a jamais encore été invité par l’Orchestre de Mullhouse – pour des concertos et de la musique de chambre. J’organise aussi une confrontation Beethoven-Boulez avec un concert de Florent Boffard et Claire Désert où l’on entendra Notations, deux sonates de Beethoven et la 1ère Sonate de Boulez. En toute fin de saison Debussy et Fauré seront l’objet d’un autre Festival. On y entendra, en concert, toutes les scènes de Pelléas comprenant les trois personnages principaux seulement, le Requiem de Fauré, douze des Préludes de Debussy joués d’abord par Cédric Tiberghien, puis dans l’orchestration de Luc Brewaeys, etc.

Nous ne pouvons pas, je vous le disais, gonfler démesurément la programmation, mais par contre nous lançons une série appelée « Au cœur de la cité », qui va nous donner l’occasion des profiter de lieux extraordinaires de Mulhouse (la Kunsthalle, La Sinne, divers lieux alternatifs). Nous donnerons par exemple le Carnaval des animaux au Zoo - avec de vrais animaux ! – et des commandes écrites pour le même effectif que l’ouvrage de Saint-Saëns. Cette nouvelle série est une manière pour l’Orchestre d’entrer dans la cité et de ne pas rester à attendre sagement le public dans la salle de concerts. Elle est aussi l’occasion de programmes plus aventureux, avec une grande présence du contemporain, mais aussi des œuvres destinées à faire travailler telle ou telle partie de l’orchestre en profondeur (sérénades pour vents, pour cordes).

Un mot pour conclure sur vos fonctions de premier chef invité à l’Opéra Royal de Wallonie…

P. D. : C’est une très longue histoire ; l’Orchestre Philharmonique de Liège et l’Orchestre de l’Opéra Royal sont les deux orchestres de ma ville. Je suis né tout près de Liège et j’ai fait une grande partie de mes études au Conservatoire de Liège. Rapidement ensuite j’ai été très aidé et épaulé par ces deux formations. Depuis vingt ans je donne un ou deux concerts par saison avec le Philharmonique. A l’Opéra, les choses ont été plus intenses car j’ai été de facto directeur musical pendant les deux dernières années de Jean-Louis Grinda avant son départ pour Monaco. Stefano Mazzonis, qui a pris un très bon chef permanent, Paolo Arrivabeni, qu’il connaissait depuis l’époque où il était à Bologne, a fait le pari de me laisser ce poste de premier chef invité. Je viens une fois par saison. C’est agréable d’être à la maison et ça a toujours été pour de magnifiques projets. En novembre, j’aurai le bonheur de retrouver Annick Massis pour Roméo et Juliette de Gounod.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 10 juillet 2013

L’enregistrement de cette soirée, magistralement dirigée par Alain Altinoglu, a été publié dans la collection Opéra français du Palazzetto Bru Zane (1 CD)

B. Godard : La Vivandière, opéra comique en trois actes (version de concert)
24 juillet 2013 – 20h
Montpellier – Opéra Berlioz-Le Corum
www.festivalradiofrancemontpellier.com

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Photo : Julien Pohl

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