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​La Vestale en concert au théâtre des Champs-Elysées – Allumer le feu – Compte-rendu

Le Théâtre des Champs-Elysées aime La Vestale et il a bien raison : après une production scénique en 2013, confiée à Jérémie Rhorer et à son Cercle de l’Harmonie, avec Ermonela Jaho dans le rôle-titre (1), l’œuvre de Spontini y revient une dizaine d’années plus tard (l’Opéra de Paris semble oublier  qu’elle appartient à son répertoire, puisque la salle Montansier où elle fut créée en 1807 abritait alors l’Académie impériale de musique). Cette fois, c’est pour un concert, dans la foulée de l’enregistrement réalisé par le Palazzetto Bru Zane, et c’est Christophe Rousset qui est aux commandes.
 
Autrement dit, La Vestale est définitivement arrachée aux interprètes d’école italienne qui l’avaient défendue au XXsiècle pour être resituée dans le prolongement de partitions certes conçues par des compositeurs italiens mais destinées à la France, comme ces Salieri que le même Christophe Rousset a brillamment  ressuscités il y a peu, ou comme cette Médée de Cherubini dont il avait mémorablement dirigé des représentations en 2012 au TCE. Ce que l’on remarque avant tout dans l’œuvre de Spontini, c’est l’importance de l’orchestre, et les Talens Lyriques mettent admirablement en valeur l’inventivité de cette écriture, dès l’ouverture et dans les quelques passages instrumentaux. Christophe Rousset sait créer l’atmosphère tendue de ce drame en soulignant l’âpreté de certains accord, y allumer le feu des passions par-delà un livret où flotte un lourd parfum de versions latines, entre « dépouilles opimes » et « Vénus Erycine ».
 

Christophe Rousset © Gil Lefauconnier
 
Une fois de plus, le Chœur de la radio flamande prête son très précieux concours à ce genre d’opération, après avoir participé à bien des résurrections pour le Palazzetto : on salue donc une fois de plus l’homogénéité de cette formation et la qualité de sa diction, même lorsque le chef impose un rythme particulièrement soutenu à ses interventions.
Quant à la distribution, on y retrouve aussi plusieurs habitués des productions PBZ, mais aussi une nouvelle venue sur laquelle se concentrait inévitablement l’attention d’un public nombreux et enthousiaste. Du côté des messieurs, David Witczak n’a que deux phrases à chanter, mais il les dit fort bien. Nicolas Courjal prête au Grand Pontife toute la vigueur d’accents dont on le sait capable, en y ajoutant même une pointe de perfidie qui pousse le personnage vers ces « méchants » dont il est coutumier. Tassis Christoyannis paraît aussi ému qu’émouvant dans le rôle de l’ami si fidèle, et offre une réplique parfaitement adéquate à Stanislas de Barbeyrac : si la partition ne donne guère à Licinius d’occasions de briller, le ténor montre ici toutes ses qualités de déclamation, sculptant chacune de ses répliques comme un marbre, avec une vraie présence théâtrale.
 

Marina Rebeka, Christophe Rousset, Aude Extrémo © Gil Lefauconnier
 
Pour les dames, on connaît désormais bien le timbre si particulier d’Aude Extrémo, qui fait de la Grande Vestale une furie fanatique aux graves abyssaux, non sans incarner également le côté maternel de cette figure ambiguë. Mais bien sûr, celle que l’on attendait au tournant, c’était Marina Rebeka (photo) dans le rôle-titre. Après ses débuts mozartiens, la soprano lettone a prouvé ces dernières années qu’elle était tout à fait à sa place dans le répertoire belcantiste, et ses qualités vocales laissaient présager une belle Julia. Sa récente Thaïs indiquait aussi qu’elle savait chanter fort bien le français (et c’est dans la version originale qu’elle avait enregistré les principaux extraits de l’œuvre dans son disque Spirito, sorti en 2019).
Oui, mais Christophe Rousset allait-il pouvoir allumer le feu qui sommeille sous la glace ? On a parfois pu reprocher à Marina Rebeka une certaine réserve, une pudeur presque trop grande dans sa manière d’interpréter les héroïnes les plus tourmentées. Au premier acte, sa vestale cache bien son jeu, mais après l’entracte, l’artiste se hisse sans peine à la hauteur des exigences du rôle, pour un « Toi que j’implore » tout à fait réussi, même si d’aucuns pourront juger qu’il y manque encore un peu de l’urlo francese hérité de la tragédie lyrique. Le français est irréprochable, la tessiture est maîtrisée de bout en bout, la voix possède la pureté qui sied à la jeune héroïne autant que l’ampleur nécessaire aux éclats du personnage. Le disque à paraître dans quelque temps devrait confirmer cette réussite chaleureusement applaudie.
 
Laurent Bury

(1) www.concertclassic.com/article/la-vestale-de-spontini-au-tce-est-ce-assez-dune-loi-pour-vaincre-la-nature-compte-rendu
 
Spontini : La Vestale – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 22 juin 2022
 
Photo © Dario Acosta

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