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​La Tétralogie au Festival de Bayreuth 2023 – La pente glissante de la Colline verte - Compte-rendu

 
Rappelez-vous, l’édition 2022 n’avait pas été de tout repos : des changements de distribution de dernière minute semblaient avoir achevé la nouvelle production du Ring signée Valentin Schwarz, accueillie par un flot de commentaires négatifs. Des critiques remontaient même jusqu’aux hautes sphères de l’Etat fédéral, la ministre de la Culture, remettant sur la table l’épineuse question du renouvellement du public. Avec une baisse de subvention d’un million d’euros décidée quelques mois plus tard par la Société des Amis de Bayreuth, la foudre des dieux du Walhalla s’abattait sur la fameuse colline.
C’était donc dans un contexte houleux que s’ouvrait l’édition 2023. Et, pour la première fois, le Festival n’affichait pas complet ... Habituellement, il fallait compter sur une moyenne de sept ans d’attente avant de pouvoir pénétrer dans le temple wagnérien. Mais pour cette édition, de nombreux billets étaient encore en vente au début du Festival. Une information confirmée par ma voisine de Ring : cette Anglaise n’a pas hésité à traverser la Manche la veille du Prologue voyant qu’il restait des places pour chaque spectacle. Stupéfaite, elle n’y avait d’abord pas cru, pensant avoir affaire à une arnaque sur internet ! Par ailleurs, nul besoin de recourir à une étude poussée pour constater que chaque soir de nombreux sièges demeuraient inoccupés. Lors de La Walkyrie du 6 août, on apercevait jusqu’à huit sièges d’un même rang vacants. Constat fait du spectacle qui se joue dans la salle, que se passe-t-il sur scène ?

 

L'Or du Rhin © Bayreuther Festspiele/Enrico Nawrath

Vocalement, on frôle la perfection. Le Wotan du Polonais Tomasz Konieczny arrive à créer un monde de noirceur autour de lui grâce à un jeu d’acteur fascinant allié à une intense puissance vocale. Nul doute qu’il est le maître des lieux. Autour de lui, que ce soit la Fricka de Christa Mayer ou la Erda d’Okka von der Damerau, on entend que toute l’histoire du Ring se joue entre les mains de ces mezzos. La prophétie d’Erda dans L’Or du Rhin pourrait à elle seule valoir le trajet jusqu’à Bayreuth.
Catherine Foster campe une Brünnhilde aux moyens vocaux impressionnants, capable aussi d’une fragilité envoûtante. Son duo d’amour avec Siegfried est à pleurer de beauté. Siegfried, justement, est incarné par Andreas Schager, grand familier de ce rôle. Il sait comment en affronter la redoutable difficulté, quitte à trouver quelques subterfuges ou à forcer un peu trop.

Mais les louanges reviennent au couple Klaus Florian Vogt et Elisabeth Teige, respectivement Siegmund et Sieglinde. Tout y est : ils nous offrent une leçon de style d’un lyrisme torrentiel. Les autres personnages ne sont pas en reste, que ce soit le Mime d’Arnold Bezuyen ou Olafur Sigurdarson en Alberich, nul doute que le chant wagnérien atteint ici des niveaux stratosphériques.
Dans la fosse, Pietari Inkinen dirige pour la première fois le Festspielorchester. Pas de grande révolution ; le chef finlandais suit à la lettre la partition. Tout est ordonné, de très belle facture (admirable Marche funèbre) mais on aurait aimé une conception plus affirmée ; une vision plus personnelle.
 

Elisabeth Teige ( Sieglinde) & Kalus Florian Vogt (Siegmund) © Bayreuther Festspiele/Enrico Nawrath
 
Sans revenir sur l’aspect scénique, détaillé dans de nombreux articles depuis un an, il convient tout de même rappeler la démarche de Valentin Schwarz. Sa mise en scène reprend les codes des films et séries actuels (la ressemblance de Gunther avec Joe Exotic, le personnage excentrique de la série Netflix Tiger King est frappante !) et offre un Ring dénué de mythe prenant ancrage dans notre société contemporaine. Sans être une relecture totale, la production s’autorise quelques modifications dramaturgiques qui peuvent laisser perplexes (Wotan devient ici le père de Siegfried !). L’anneau est personnifié : dans L’Or du Rhin un petit garçon, Hagen enfant on le comprendra plus tard ; dans le Crépuscule, l’objet magique s’incarne en une petite fille. Attention, il faut suivre.

On se désole principalement de manque d’idées concrètes sur le plateau, celui-ci étant baigné d’une lumière souvent fade. Le statisme de certaines scènes (surtout dans les duos) nous laisse le temps de réfléchir et d’intellectualiser les très (trop ?) nombreux symboles posés par le metteur en scène. Quelques beaux tableaux subsistent toutefois. Un effet de miroir d’un décor rotatif permet d’apercevoir le chef d’orchestre en mouvement durant quelques instants. Vision fascinante. D’autres idées peuvent être saluées : plusieurs personnages font leur apparition sur le plateau avant ou après les moments où ils y sont contraints musicalement, suscitant des corrélations éclairantes et pertinentes.
Valentin Schwarz a régi son Ring autour d’une question fondamentale, celle de la transmission et de l’héritage. Chacun se cherche un héritier afin de sauver son clan. L’idée est intéressante et, en assistant au spectacle, on ne peut pas s’empêcher de transposer cette problématique au Festival : Bayreuth va-t-il se trouver des héritiers ? Comment va-t-il réussir à transmettre aux futures générations l’envie de venir écouter la musique de Wagner ?
 

Photo © M.G. 
 
Les prix très élevés des places (de 160 à 350 € au parterre, 45 à 260 € au balcon) n’aident assurément pas à attirer de jeunes spectateurs en haut de la colline. Pourtant, le constat est sans appel : un problème criant de renouvellement du public se pose. Selon une Française habituée des lieux, cet entre-soi se ressent même sur la nature des boissons proposées aux entractes : en quelques années, le public aurait troqué massivement les traditionnelles chopes de bière pour les flûtes à champagne, éloignant ainsi le caractère populaire de la manifestation. La messe est dite.
Pour d’autres, le problème viendrait de l’absence de surtitrage. Après plusieurs sondages durant le petit déjeuner à l’hôtel auprès de mélomanes non-germanophones, l’ajout de surtitres apparaît comme une solution simple pour attirer d’autres publics. Bien sûr, chacun comprend le caractère éminemment polémique de cette proposition – et les personnes interrogées implorent de garder l’anonymat pour des raisons de sécurité évidentes.
Il faudra trouver de quoi se réinventer car même si le public semble fidèle et acquis à la cause (les acclamations et la ferveur des spectateurs à la fin de chaque acte attestent leur attachement au festival et à la musique de Wagner), il y a urgence. Imagine-t-on une salle à moitié vide pour la célébration des 150 ans du Festival en 2026 ? Est-ce le début du crépuscule de Bayreuth ?

 
Marion Guillemet
 

R. Wagner : Der Ring des Nibelungen -  Das Rheingold : 5 août ; Die Walküre : 6 août ; Siegfried : 8 août ; Götterdämmerung : 10 août 2023 // www.bayreuther-festspiele.de/en/homepage
 
Photo © M.G.

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