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La Symphonie « des Mille » de Mahler aux 150èmes Chorégies d’Orange – Grandeur et puissance - Compte rendu

Quarante-deux ans après, on prend les mêmes et on recommence ! Ou presque. En 1977, les Chorégies d’Orange accueillaient la réunion des deux orchestres de Radio France pour donner, sous la direction de Vaclav Neumann, la Symphonie « des Mille » de Mahler. Depuis il y a eu d’autres tremblements au pied du mur du théâtre antique d’Orange : ceux de la 9ème de Beethoven, des Carmina Burana, du Requiem de Verdi et des cuivres wagnériens.
Pour fêter le 150ème anniversaire du plus ancien festival de France qu’il dirige désormais, Jean-Louis Grinda a remis le couvert, réunissant le Philharmonique et le National autour de cette Symphonie « des Mille » du fait des imposantes masses chorales et orchestrales, 1029 exécutants, qui procédaient à sa création en 1910 sous la baguette du compositeur. Il y a quelques jours, le mur a tremblé de nouveau… Auguste, dans son écrin de calcaire, en a encore la toge qui frétille.
 

Jukka-Pekka Saraste © Gromelle

 
Où peut-on installer 145 instrumentistes, 173 choristes, 85 enfants et 8 chanteurs solistes ? A Orange, bien entendu. Les Chorégies ne s’en sont pas privées réunissant les deux orchestres cités plus haut, mais aussi le Chœur et la Maîtrise de Radio-France ainsi que le Chœur philharmonique de Munich. Ils n’étaient pas mille mais « seulement »  411 pour servir cette œuvre hybride et monumentale sous la direction du Finlandais Jukka-Pekka Saraste. Face à eux, et ce n’est pas la moindre satisfaction de la soirée, les gradins étaient plus que copieusement garnis puisque 4200 personnes avaient décidé de venir entendre cette œuvre peu jouée du fait de la démesure qu’elle impose à ceux qui veulent la produire. Une belle performance populaire pour un concert symphonique, sachant que le Guillaume Tell  de Rossini du 12 juillet dernier (1), comptait quelque 2000 spectateurs de plus.
 
Entre sacré et profane, entre le Veni Creator spiritus du bénédictin Raban Maur et la scène finale du second Faust de Goethe, Mahler bouscule les esprits et l’univers jusqu’à ce que ce dernier, disait-il, « se mette à tonner et à résonner ». Et pour tonner, elle tonne, cette Symphonie n° 8 ! Des cuivres sur scène, des cuivres dans le théâtre pour respecter une spatialisation que désirait le compositeur, un orgue, un harmonium, un piano, des cloches, des timbales et des cymbales : la liste n’est pas exhaustive mais la puissance présente. Puissance maîtrisée par un chef qui se joue des pièges inhérents à une exécution en plein air. Avec des solistes dans le dos et de telles masses devant, il peut être parfois difficile pour le chef de tenir ferme tout son monde. Et après quelques mesures hésitantes, après quelques décalages, Saraste a totalement dominé son sujet, offrant une lecture saisissante de l’œuvre, détaillant les sentiments et insufflant la passion. L’Adagio de la deuxième partie fut d’une beauté électrisante et les pizzicati d’une densité à faire frissonner. Très beaux, aussi, les dialogues entre les cordes et le chœur, mezza voce. Grande performance des deux orchestres de Radio-France à tous les pupitres, le nombre d’interprètes exigeant une attention soutenue, et de tous les instants, pour demeurer dans la rectitude. Une qualité de son que l’on retrouva dans la prestation des choristes, enfants et adultes, très bien préparés pour offrir un chant nuancé, précis et, lui aussi, d’une grande densité, forte ou piano.
  
Du côté des solistes, les très wagnériennes Meagan Miller, Ricarda Merbeth et Claudia Mahnke côtoyaient la plus mozartienne Eleonore Marguerre et la délicate Gerhild Romberger. Un quintette féminin équilibré et assuré. Du côté masculin, si l’on oublie un égarement du baryton Boaz Daniel, le ténor Nikolai Schukoff, que nous avions fort appréciée en Jim Mahoney dans Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny de Kurt Weill il y a quelques jours au Festival d’Aix-en-Provence (2), fut très présent avec une belle projection nécessaire en ce lieu, et l’iconique basse Albert Dohmen à la hauteur de sa réputation. Pari gagné, donc –  en présence du ministre de la Culture – pour Jean-Louis Grinda.
 
Michel Egéa
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