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​La Reine des neiges de Hans Abrahamsen (création française) à l’Opéra national du Rhin / Festival Musica 2021– L’admirable homme des neiges – Compte-rendu

Contrairement au dessin animé sorti des studios Disney en 2013, l’œuvre que présente l’Opéra national du Rhin pour son ouverture de saison 2021-22 s’inspire très fidèlement du conte d’Andersen La Reine des neiges. Créée en danois à Copenhague en octobre 2019, puis en anglais à Munich en décembre de la même année, la partition signée Hans Abrahamsen (né en 1952) s’inscrit dans le prolongement de celle qui lui a valu une reconnaissance internationale : Let Me Tell You (2013), cycle inspiré par l’Ophélie de Shakespeare, porté par Barbara Hannigan, également créatrice du rôle principal de The Snow Queen à Munich. De fait, Abrahamsen peut prétendre au titre de plus neigeux de tous les compositeurs contemporains, lui qui s’est aussi fait connaître avec une pièce pour neuf instruments intitulée Schnee (2006).
 

Hans Abrahamsen © Lars Skaaning

Pour son premier opéra, la neige et la glace sont bien sûr très présentes, mais aussi le printemps, les roses et le passage du temps. On y retrouve une écriture orchestrale d’un grand raffinement derrière son apparente simplicité, à laquelle se superposent des lignes de chant souvent assez étales, sans virtuosité particulière, seule l’héroïne Gerda devant régulièrement solliciter son registre le plus aigu. On entend beaucoup de très belles choses, incontestablement, comme l’étonnant premier chœur des fleurs sur les paroles « What is here ? No one », suivi d’un chant de forme beaucoup plus traditionnelle ; les passages les plus frappants, comme l’enlèvement de Kay par la Reine, semblent néanmoins réservés à l’orchestre seul, et on en vient parfois à se demander si, au moins dans l’écriture vocale, il ne manque pas un peu de feu qui couverait sous la glace. Dramatiquement, la sauce met du temps à prendre, et c’est surtout au dernier acte que l’intérêt du spectateur trouve davantage à quoi se raccrocher.
 

© Klara Beck 

La production signée James Bonas et Grégoire Pont est pourtant fascinante sur le plan visuel, cela n’étonnera pas ceux qui ont vu L’Enfant et les sortilèges, leur première collaboration. En fond de scène, derrière un rideau de fil métallique, le chef néerlandais Robert Houssart (qui a assuré la création mondiale à Copenhague) dirige avec précision l’Orchestre philharmonique de Strasbourg au grand complet. Devant le rideau se déroule l’action interprétée par les solistes, avec en guise de décor changeant les projections conçues par Grégoire Pont, envoûtante fantasmagorie où les flocons se mêlent aux éclats de verre, aux fleurs et aux branches, ainsi qu’à quelques images non pas dessinées mais photographiées ou filmées, comme lorsqu’il s’agit de simuler le vol de Kay et de la Reine des neiges vers le grand Nord. Les costumes situent les deux héros dans notre monde d’aujourd’hui, mais la Grand-mère elle-même est déjà un être un peu fabuleux, tous les autres appartenant à l’univers magique des contes.
 

© Klara Beck 

En termes de temps de présence sur scène, le personnage de Gerda domine toute la distribution, et Lauren Snouffer, vue notamment dans des opéras de Haendel ou Hasse avec Max Emanuel Cenčić, y assure dignement la succession de Barbara Hannigan, le rôle ayant été écrit sur mesure pour la soprano canadienne. A ses côtés, on regrette de ne pas entendre davantage le beau timbre de la mezzo Rachael Wilson, mais Kay (rôle travesti, comme Hänsel dans l’opéra-conte de Humperdinck) disparaît très tôt pour ne revenir qu’à la toute fin de l’opéra. La contralto Helena Rasker fait valoir des graves profonds dans ses trois rôles bien caractérisés. La Reine des neiges a la voix de basse de David Leigh mais l’écriture qui lui est réservée ne rend pas le personnage aussi impressionnant qu’on pourrait s’y attendre. Michael Smallwood et Théophile Alexandre campent de pittoresques corneilles, tandis que Moritz Kallenberg et Floriane Derthe sont, avec leur double-marionnette, de charmants prince et princesse du château des rêves. On saluera en particulier le travail accompli par le Chœur de l’OnR (préparé par Alessandro Zuppardo), très présent dans cette œuvre qui appelle sans doute la réécoute. Hélas, aucune captation ne semble prévue …

Laurent Bury

H. Abrahamsen : La Reine des neiges (création française) – Strasbourg, Opéra national du Rhin, 15 septembre ; prochaines représentations les 17, 19 & 21 septembre (Strasbourg), puis les 1er & 3 septembre 2021 (Mulhouse / La Filature) // www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2021-2022/opera/die-schneekonigin

Photo © Klara Beck

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