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La Périchole à l’Odéon de Marseille – De l’Offenbach majuscule – Compte-rendu

On dit souvent que l’opérette meurt. Mais que fait-on afin qu’elle vive ? A Marseille, c’est une saison qui alterne « tubes » et découvertes qui est mise en place ; et ici, sur la Canebière, le genre est encore bien vert…  Pour preuve, les deux représentations d’une nouvelle production de le Périchole données à guichets fermés, donc salle pleine ! Pour la circonstance, le metteur en scène Olivier Lepelletier avait été convié à jeter un œil nouveau sur l’opéra bouffe… Ce qu’il ne s’est pas privé de faire sur la forme tout en respectant la lettre. Et ça a marché ; les mânes d’Offenbach, de Meilhac et d’Halévy ont dû en frémir de plaisir.
   
A dix mille lieux de l’exotisme péruvien, qui alourdit souvent la mise en scène, Olivier Lepelletier installe sa Périchole au cœur du XVIIIème siècle, entre les murs d’un cabaret où les hommes, perruqués, viennent s’encanailler. Le rouge de la passion est la couleur dominante et le vice-roi en goguette, travesti en bonne sœur, est désopilant à souhait. C’est l’esprit d’Offenbach qui habite ce travail, le metteur en scène actualisant avec élégance une causticité qui traverse l’œuvre en filigrane. Elégance est l’idéal qualificatif pour cette production résolument dépoussiérée, comique à souhait, sans jamais tomber dans la vulgarité. Au demeurant, la trivialité ne fait pas partie du quotidien d’Olivier Lepelletier ; il a beaucoup retenu des leçons de Pier Luigi Pizzi et travaillé avec Robert Carsen. C’est certainement chez ce dernier qu’il est allé cherché une certaine idée de la perfection pour les éclairages qui, à chaque seconde, donnent du relief aux personnages et à la mise en scène. La scène de la lettre, est, en la matière, un moment de grâce hors du temps avec la Périchole qui chante, au bord des larmes, dans l’encadrement noir d’un théâtre, éclairée seulement d’une ampoule sur pied, alors que dans le ciel étoilé qui illumine scène et cadre défile le texte de la lettre… On est loin de la table en bois de l’encrier et de la plume d’oie !
 

Olivier Grand et Héloïse Mas © Christian Dresse 

 
Pour servir cette vision de l’œuvre, Olivier Lepelletier a la chance de pouvoir compter sur une Périchole exceptionnelle, Héloïse Mas (photo). La jeune femme, qui avait triomphé dans Boulotte de Barbe-Bleue, pour les fêtes à l’Opéra de Marseille, revient avec bonheur sur les rives du Vieux-Port. A son charme indéniable et à son jeu tout à fait dans le ton voulu par le metteur en scène, elle associe une voix chaude, généreuse, directe et puissante. Son mezzo est impeccable avec de la rondeur et de la suavité ; un modèle du genre. Elle émeut, fait sourire, charme avec distinction. A ses côtés, les trois cousines, campées par Kathia Blas, Lorrie Garcia et Marie Pons, sont au diapason de la qualité, tant au niveau vocal qu’en matière de comédie. Un joyeux trio de voix toujours séduisantes. Du côté des hommes, Samy Camps est un Piquillo beau gosse et un tantinet benêt, voix bien placée, et légèrement en retrait de sa Périchole. Mais il est vrai que « les hommes sont bêtes » et qu’Offenbach donne ici le beau rôle aux femmes. Olivier Grand est un imposant, physiquement et vocalement, vice-roi, Jacques Lemaire et Eric Vignau, respectivement comte de Panatelas et Don Pedro de Hinoyosa, un duo de courtisans délicieusement obséquieux. Quant aux « piliers » de la maison, Antoine Bonelli et Michel Delfaud, tour à tour notaires, marquis ou prisonnier, leur science de la comédie fait merveille.
 
Très présent, le Chœur Phocéen, idéalement préparé par Rémy Littolff est rigoureux et coloré, apportant ainsi sa pierre à l’édification du succès. Grandement sollicités, eux aussi, et pas seulement pour le cancan final, les danseurs Esmeralda Albert, Leah Henry, Adonis Kosmadakis, Lola Le Roch et Mathilde Tutiaux ont bien mérité l’ovation qui a récompensé leurs prestations. Puis il y a la musique d’Offenbach. On dit souvent que cette Périchole est l’une des ses plus belles partitions. Bruno Membrey en est persuadé qui a livré une direction enjouée et fine à la tête d’un Orchestre de l’Odéon renouvelé ces derniers mois et qui sonne désormais idéalement dans sa fosse de poche. Donnée deux fois à Marseille, cette production mériterait amplement de tourner afin de prouver que l’opérette n’est pas morte et qu’elle peut encore avoir de beaux jours devant elle.

Michel Egéa 

Offenbach : La Périchole – Marseille, Odéon, 22 février 2020 // odeon.marseille.fr
 

Photos © Christian Dresse

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