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La Gioconda de Ponchielli au théâtre du Capitole – Béatrice Uria-Monzon relève le défi – Compte-rendu

 

S’il est un opéra qui montre cette « défaite des femmes » jadis chère à Catherine Clément, c’est bien La Gioconda, adaptation frénétique, par Boito, d’Angelo, tyran de Padoue, pièce d’un Victor Hugo tendance Boulevard du Crime. Dès l’ouverture, le masque d’un Joker mégacéphale s’exhibe nu. Olivier Py laissera longtemps planer le doute sur ce clown inquiétant qui s’avèrera le double pervers de Barnaba, l’indic, le traître, cet autre Iago soumis à une libido brutale. Ce sera l’occasion de transformer l’irrésistible Ballet des Heures, tube orchestral aussi épatant que la Bacchanale de Samson, en un jeu morbide magnifiquement chorégraphié.
 
Béatrice Uria-Monzon (La Gioconda) @ Ramón Vargas (Enzo Grimaldo) © Mirco Magliocca
 
Dans le décor sombre, humide et carcéral de Pierre-André Weitz, Py nous régale en dénouant les manipulations dont sont victimes Gioconda, sa mère et Laura. Certes, on peut s’énerver des tics érotomanes du metteur en scène, voire lui reprocher de forcer le trait durant les imprécations haineuses d’un Barnaba officiant une messe noire naturiste. Mais, au même titre que le hiératisme de Bob Wison ou les costumes de ville de Robert Carsen, ces images sont sa marque de fabrique et elles ne dérangent plus que qui veut l’être.
 
Le prolixe metteur en scène a allégé son discours sur l’art lyrique hier encore surchargé de références. Désormais son propos fait sens avec peu, comme ces navires de croisière en lieu et place des galères de la Sérénissime, ou bien ces draps immaculés figurant l’évasion nautique de Laura. La modernité de bon aloi et l’imaginaire épuré rendent haletants les actes spectaculaires qui ont fait le succès de Gioconda à sa création. Il est vrai qu’avec tant de Palais des Doges, de basilique San Marco, de batailles navales, de nuits capiteuses et de glauques assassinats, le public en avait pour son argent. C’est toujours le cas.
 
Pierre-Yves Pruvot (Barnaba) © Mirco Magliocca
 
Distribuer Gioconda est un savant dosage où chaque protagoniste a son lot d’athlétisme vocal. Le Capitole, tout comme son cousin l’Opéra de Marseille, semble conçu pour qu’y triomphe la beauté des voix. L’actuelle équipe a réuni des interprètes qualité premium. Les hommes ont la part belle, à commencer par le haineux baryton du remarquable Pierre-Yves Pruvot. La basse confortable de Roberto Scandiuzzi, doge jaloux, rattrape une entrée en matière un brin détimbrée. Ramón Vargas est comme à son habitude, solide et solaire. Quelques minutes peuvent aussi suffire à faire émerger un timbre exceptionnel parmi la débauche de comprimari. La basse Sulkhan Jaiani (Zuane) est de cette étoffe.  La Cieca d’Agostina Smimmero déploie un alto généreux. Le public, en fin connaisseur, l’ovationne aussi longuement que la Laura cinglante et lumineuse de Judit Kutasi.
 
Béatrice Uria-Monzon (photo), qui vient de publier chez Aparte Assoluta, un récital empli de vérisme et de fureur, endosse ce rôle-titre que Montserrat Caballé affirmait le plus éprouvant du répertoire. Seule l’urgence de la scène permet d’apprécier une interprète, de la voir y relever ce défi phénoménal, l’art du chant. À cette épreuve, terrible, Béatrice Uria-Monzon triomphe. Si l’agenoise dispose aujourd’hui d’un instrument moins propice au moelleux belcantiste, ses duos violents avec Laura et un magistral Suicidio suffiraient à réinscrire l’injustement méprisée Gioconda au panthéon de l’opéra italien. Les pupitres de l’Orchestre national du Capitole, (notamment les vents), les chœurs, puissants et roboratifs, tous amoureusement guidés par Roberto Rizzi-Brignoli, achèvent de rendre justice à une partition que la triade Verdi-Puccini- Mascagni continue de trop occulter.

 
Vincent Borel

Ponchielli : La Gioconda – Toulouse, Théâtre du Capitole, 28 septembre ; prochaines représentations les 1er et 3 octobre 2021 / www.theatreducapitole.fr/
 
Photo © Mirco Magliocca

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