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La folie Boulingrin à l’Opéra Comique - Aperghis chez Courteline

La musique d’aujourd’hui occupe l’affiche de l’Opéra Comique du 12 au 18 mai avec une création de George Aperghis(1). La salle du Boulevard des Italiens ne se détourne pas pour autant des genres qui ont fait sa réputation : c’est en effet un opéra bouffe que le compositeur a conçu à partir des Boulingrin de Georges Courteline, pièce en un acte dont la méchanceté et la mécanique génialement huilée l’ont immédiatement séduit. L’ironie, l’humour caustique, le goût de l’absurde qu’Aperghis manie avec tant d’art – la chose est trop rare dans la musique contemporaine pour ne pas être saluée… - seront à coup sûr à leur aise dans ce contexte, mais la partition qu’il vient d’écrire n’en constitue pas moins une forme de pause bienfaitrice dans son parcours.

« Ces derniers temps, mes recherches sur l’opéra et le théâtre musical se sont un peu jointes et un ouvrage tel que Avis de Tempête(1) correspond à ce que je considère comme l’opéra d’aujourd’hui. Il y a évidemment des gens qui ne voient pas les choses comme moi et considèrent que l’opéra c’est la fosse d’orchestre, une histoire unique, etc. Notre époque est plutôt « polyphonique », les images, les sons, les textes nous traversent dans tous les sens et je vais plutôt vers cet univers là. Quand Jérôme Deschamps m’a proposé de me lancer dans ce projet pour l’Opéra Comique, j’ai vu comme une parenthèse dans mes obsessions, une tranquillité de l’esprit par rapport à mes recherches. J’avais lu par hasard Les Boulingrin de Courteline un peu avant que Jérôme ne me contacte. Ce texte est un vrai livret, chaque mot y a sa place, il n’y en a pas un de trop, c’est une véritable mécanique d’horlogerie J’ai aussi été séduit par sa concision (quatre personnages seulement), par sa méchanceté foncière, gratuite, qui va jusqu’au bout, puisque l’on finit par faire flamber le quartier ! »

Pas question toutefois pour le compositeur et son metteur en scène de rester sur un théâtre de boulevard : « la musique m’a permis de faire passer les personnages vers un monde un peu fantomatique. Quand ils parlent ce sont eux, quand ils chantent ce sont les mêmes mais un peu déplacés. Avec Jérôme nous partageons les mêmes idées et la méchanceté incroyable de la pièce devient comme du merveilleux. C’est une méchanceté tout à fait concrète, avec des paires de gifles, etc., mais en même temps on va vers un monde… pas onirique, mais presque… »

A l’image de le « mécanique d’horlogerie » d’un texte dont les rouages s’organisent pour mieux déchaîner l’accès de folie de la plume de Courteline, Les Boulingrins d’Aperghis mis en scène par Jérôme Deschamps s’appuient sur une étroite imbrication des aspects musicaux et scéniques. «En rêvant avec Jérôme nous sommes arrivés à l’idée d’un décor en forme de maison dans laquelle sont disposés les musiciens : les vents tout en haut, deux violoncelles au premier étage, celui de la chambre des Boulingrin, et en bas la cuisine avec les percussions (où figure d’ailleurs des ustensiles de cuisine), le piano et l’accordéon. Le son est légèrement amplifié pour obtenir un résultat plus « cinéma » qu’opéra. A propos de cinéma, pas de plan-séquence ; j’ai essayé de tout découper ; on ne s’installe pas, on est tout le temps dans l’action, le mouvement métronomique change sans arrêt, on passe d’un espace à l’autre. La multiplication de plans différents, très serrés, crée un écrin pour chaque mot du texte.

L’aventure des Boulingrin aura aussi offert à Georges Aperghis l’occasion de retrouver des partenaires de longue date : Donatienne Michel-Dansac et Lionel Peintre, tandis qu’il collabore pour la première fois avec Jean-Sébastien Bou et Doris Lamprecht - avec une visible satisfaction ! Habitué de la musique d’aujourd’hui, Jean Deroyer dirige les musiciens du Klangforum Wien. « Le chef est installé dans la fosse, seul sur une sorte d’îlot, de nombreux écrans vidéos permettent aux chanteurs et instrumentistes de suivre ses indications jusque dans les moments les plus tumultueux de l’action. » Si celle-ci repose sur Des Rillettes et le couple Boulingrin, Georges Aperghis n’a pas voulu se priver du personnage de Félicie qui, chez Courteline, n’intervient que dans la Scène 1 : « je continue ce rôle par la suite ; Félicie ne cesse de commenter ce qui se passe et devient un personnage à la fois très concret et très absurde dont Jérôme se sert tout le temps. »

Parenthèse dans le parcours du musicien, son nouvel ouvrage le serait-il aussi dans l’évolution de son langage musical ? « Je crois que Les Boulingrin se situent dans la continuité de mes dernières pièces. Mais, nuance-t-il, il y des choses un peu différentes dans la mesure où, c’est la première fois je crois que je fais ça, on a affaire un matériau sonore qui n’arrête pas de se transformer, de varier, de bouger – pour donner une sorte d’énergie fondamentale - tout en demeurant le même du début à la fin. C’est un exercice assez difficile. »

Comme de coutume à Favart, la série des « Rumeurs » invite à de séduisants rendez-vous parallèlement à la production principale. Ainsi on entend-on l’excellent Fabien Gabel à la tête de l’Orchestre de Paris, avec Sonia Wieder-Atherton et François Rivalland (cymbalum), dans un éclectique programme bâti autour de la pièce Le Reste du Temps d’Aperghis (accompagnée de pages de Haydn, Mozart, Webern et Ligeti). Mais l’Ensemble Réflex est par ailleurs invité pour deux représentations du Petit Chaperon Rouge, ouvrage étonnant où l’imaginaire d’Aperghis investit le fameux conte de Perrault.

Alain Cochard

(Entretien avec Georges Aperghis réalisé le 22 avril 2010)

(1) Il s’agit d’une coproduction Opéra Comique/Klangforum Wien/La muse en circuit, réalisée avec le soutien du Fonds de création lyrique.

(2) Ouvrage créé à l’Opéra de Lille en 2004

Aperghis/Courteline : Les Boulingrin Les 12, 14, 16 et 18 mai 2010
Opéra Comique

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Photo : DR
 

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