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La Flûte enchantée revue par Maurice Béjart – Il était une fois – Compte rendu

Oublions Béjart, oublions ce que ce nom faisait résonner de jeunesse, de vitalité débridée, d’amour de la musique, des grands mythes, des horizons lointains : images habitées, frémissantes, qui rayonnèrent sur le monde entier comme aucun spectacle de danse ne l’avait jamais fait. Oublions la légende : le temps a passé, les émotions retombées. Et gardons l’empreinte de Maurice Béjart, chorégraphe de génie, homme de spectacle fabuleusement doué, pétri d’une culture qu’il savait faire chanter simplement pour le bonheur du plus grand nombre. Et ce créateur là vit encore, même si l’étincelle qui ravagea son temps s’est aujourd’hui éteinte.
Des dates marquantes : il mourrait en 2007, à 80 ans, miné, vidé, et ses ballets d’alors sont à laisser de côté. Cela est normal. Mais le Béjart Ballet Lausanne, né il y a trente ans, et succédant au flamboyant Ballet bruxellois du XXe siècle, gardait, lui, la main sur un héritage difficile car son auteur n’avait pas fait grand-chose pour le pérenniser et qu’en outre, bien des chefs d’œuvre étaient datés : Béjart, tout en puisant à l’éternité des mythes humains et divins, n’ayant jamais voulu faire autre chose que de coller à son temps.  Gil Roman, l’un des grands interprètes du maître, en avait connu tous les aspects, et le remplaçant à la tête de la troupe orpheline, il lui a fallu une énorme énergie pour ranimer le phénix de ses cendres.

© BBL-Gregory Batardon
 
Flottement, donc, durant plusieurs années : malgré la qualité des danseurs, l’énergie du directeur, l’amour avait déserté le public, l’élan n’y était plus. Puis la troupe a émergé de cette passe difficile, et revoilà, outre quelques pièces qui renaissent de ci de là, outre aussi des chorégraphies de Roman lui-même, qui ne manque pas de talent, cette Flûte enchantée qui fut peu donnée en France, et marque un aspect particulier de l’auteur du Boléro et du Sacre du Printemps : son amour pour l’opéra.
Il s’y mesura à plusieurs reprises, et notamment en 1964, pour une historique Damnation de Faust à l’Opéra de Paris, en 1973, avec une ambitieuse et critiquable Traviata à la Monnaie, empreinte d’un modernisme qui ne lui seyait guère, en 1990 avec le superbe Ring um der Ring créé au Deutsche Oper puis à l’Opéra de Paris. Enfin cette Flûte enchantée de 1981, où Jorge Donn irradiait.

On sait le peu de contact que les chorégraphes ont  généralement avec Mozart, alors qu’ils se jettent sur la moindre note de Bach : trop spécifiquement lyrique sans doute, surabondant dans ses sous-entendus psychologiques que seul un Neumeier sait décrypter. Et pour Béjart, qui n’était guère maître dans l’analyse des sentiments, on aurait mal vu les Noces de Figaro ou Cosi fan tutte entre ses mains. Seul le mythe l’intéressait, celui de Don Juan bien sûr, et surtout La Flûte enchantée, où il pouvait créer de multiples plans émotionnels et symboliques, de la quête mystique à l’amour terrestre.

A l’époque de sa création au Cirque Royal de Bruxelles, sa lecture parut faible en regard de la profondeur de l’opéra : vision au plus près, décalque gestuel d’une histoire déjà très bien contée, comme si un créateur s’était effacé derrière l’autre. On n’y trouva pas l’inspiration décapante du chorégraphe, mais un bel et sage exercice d’école.
Pourtant, moins démodée que d’autres pièces emblématiques, elle témoigne  aujourd’hui d’un certain classicisme de bon aloi, déploie une beauté formelle dans la superposition des registres, une grâce dans la tendresse avec laquelle les deux couples sont traités, une élégante simplicité de lignes dans les variations, notamment un splendide pas de trois entre Sarastro, Tamino et Pamina, un charme populaire enfin, pour les mésaventures cocasses de Papageno, qui font rire des salles bondées, ce qui est réjouissant.

© BBL-Gregory Batardon

Une deuxième vie, donc, avec cette œuvre fraîche et colorée, qui permet en outre de se régaler de la version de Karl Böhm à, avec un Wunderlich jamais égalé, entre autres, et un Franz Crass prodigieux, et de goûter la beauté des danseurs du BBL. En Tamino, le juvénile et délicat Jiayong Sun, bras superbes, lignes ciselées comme une miniature, est un peu léger face à sa puissante Pamina, Kathleen Thielhelm, mais le Monostatos de Federico Matetich est époustouflant et le ludique Papageno de Wictor Hugo Pedroso irrésistiblement bondissant. Tandis que Javier Casado Suárez  profile avec un équilibre souverain la figure harmonieuse de Sarastro, quand ce n’est pas le beau Julien Favreau, danseur iconique de la compagnie, qui l’interprète.
Le tout souligné par les décors et costumes éclatants d’Alan Burrett et Henri Davila. Quant au couple Isis-Osiris, figé dans des attitudes sacrées, il domine la quête humaine qui se déroule à ses pieds. Attitudes qui relèvent plus de l’iconographie des temples hindous que des fresques égyptiennes : Béjart sera toujours Béjart !
 
Jacqueline Thuilleux

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La Flûte Enchantée ( chor. Maurice Béjart / mus. Mozart – Paris, Palais des Congrès, 8 février 2018. Reprise aux Chorégies d’Orange, le 16 juillet 2018 / www.choregies.fr
 
Pour redécouvrir Béjart, un  précieux ouvrage sorti tout récemment, où la journaliste Ariane Dollfuss analyse plusieurs facettes du personnage aux termes d’investigations très poussées : Béjart le démiurge (ed. Arthaud, 448 p., 21,50 €) 
 
Photo © BBL-Anne Bichsel

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