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La Fille mal gardée au Palais Garnier – Le printemps est arrivé – Compte-rendu

 

 
Miraculeux ! Miraculeux que des rôles mettent autant en valeur des danseurs dont on n’avait pas toujours perçu le caractère exceptionnel, car ici ils sont bien distribués, à savoir Léonore Baulac et Guillaume Diop. Miraculeux que ce titre un peu désuet, cette presque comédie-ballet d’un autre temps, si éloigné du nôtre par la recherche de finesse et de bonnes manières, puisse mettre en joie à la fois le public et aussi une troupe dont on a parfois l’impression qu’elle s’ennuie dans le répertoire classique traditionnel.
 

Ferdinant Hérold (1791-1833) © PBZ Gallica

 
Miraculeux que cette pantomime poussée à l’extrême, mais de façon tellement loufoque qu’elle n’a plus rien à voir avec le côté convenu du genre, que cette gestique ô combien classique mais déployée avec une perfection et une inventivité qui la font paraître neuve, puissent toucher aussi fort. Miraculeux que cette partition de bouts de ficelle – car Herold la bricola abondamment – si bien qu’on a l’impression d’entendre du Rossini, en moins nerveux, charme autant et que l’orchestre de l’Opéra, dirigé vigoureusement par Philip Ellis, y mette autant de bon vouloir. Miraculeux que ces rubans, cette sorte de mât de cocagne, cette évocation d’un Eden villageois et d’un poulailler en folie ne paraissent pas sortis d’une fête enfantine. Miraculeux surtout que l’on puisse ainsi retrouver le génie créateur du chorégraphe anglais Frédéric Ashton, lequel produisit en 1960, pour le Royal Opera House, cette version d’un ballet déjà fort ancien, avec l’aide d’une certaine Tamara Karsavina, et sur l’arrangement musical de John Lanchbery à partir de Herold. Miraculeux que l’Opéra de Paris, après avoir testé d’autres versions, fasse entrer ladite version à son répertoire en 2007.
 

Léonore Baulac © Benoîte Faton - OnP

 
Miraculeuse, donc cette prodigieuse agitation bon enfant qui raconte des amours juvéniles sur le ton de la plaisanterie un rien donquichottesque, à partir d’un ballet historique du grand chorégraphe français Jean Dauberval, initialement sous le titre de Ballet de la Paille, et créé le 1er juillet 1789 - vive la République, vive la Danse. Car elle marque, sous ses airs champêtres, le grand tournant du ballet français, qui  s’éloignant des dieux et des allégories ronflantes des décennies précédentes, attaquait un terrain plus populaire, que les années révolutionnaires allaient exploiter, avant que le romantisme et l’influence de l’Allemagne ne mêlent les vieilles légendes moyenâgeuses et leur fantastique à ces tableaux idylliques : Molière mâtiné de Rousseau que cette Fille mal gardée, avant que n’entrent en scène Heine et ses willis.
 
Frédéric Ashton (1904-1988), qui savait aussi plonger au plus fort du romantisme et de la tragédie, notamment avec le splendide Marguerite et Armand sur la Sonate de Liszt, pour Noureev et Margot Fonteyn, montre là son inventivité incroyable en matière de légèreté bondissante, d’intelligente drôlerie, de figures piquantes, comme cette fessée donnée par Mère Simone à Lise, l’héroïne, sur un gentil postérieur bondissant à chaque – petit – coup. Et structure son récit avec un sens scénique renouvelé à chaque instant, sans les pauses habituelles aux ballets classiques pour permettre au corps de ballet d’effectuer ses interventions réglementaires. Il sait accrocher de la vie à chaque plume de coq, en nous faisant mourir de rire, et rendre malicieuses les scènes les plus apparemment conventionnelles. Un Mozart de la danse. On se souvient notamment de l’extraordinaire version scénique qu’il fit pour les anglais des Contes de Beatrix Potter, imagerie culte outre-Manche, et repris inlassablement par la Royal Ballet comme un Trésor National
 

Guillaume Diop © Benoîte Fanton - OnP
 
Merveille aussi que de voir comment la mutine Léonore Baulac, paraissant les seize ans qu’elle n’a plus, papillonne avec les plus jolis pieds qui se puissent imaginer, et nimbe d’une malice charmeuse la moindre de ses arabesques, en accomplissant des performances parfois impressionnantes, mine de rien, lorsque, juste accrochée au nœud central d’un tournoiement de rubans, elle se tient longuement sur une pointe, en un équilibre que l’on admire et que le public a applaudi frénétiquement.
 
Merveille que de voir comment Guillaume Diop, très tôt révélé, et un peu décevant dans des rôles pour lesquelles il n’avait pas la maturité suffisante (des Grieux de L’Histoire de Manon) donne ici la pleine mesure de ses dons éblouissants, avec sa silhouette superbement longiligne qui parcourt la scène en trois enjambées, ses sauts aériens, ses pirouettes accomplies, une fois passée la mise en place initiale. Merveille de voir comment Simon Valastro, en Mère Simone, compose un personnage cocasse et totalement allumé, avec une drôlerie presque paillarde et une ardeur qui en font quasiment la vedette du spectacle – lequel Simon Valastro, déjà attaché à l’Académie de l’Opéra, verra d’ailleurs exploité à nouveau son sens théâtral puisqu’il mettra en scène, en mars 2025, l’Isola disabitata de Haydn à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille. Grâce exquise du joueur de flûte Rubens Simon, pitreries irrésistibles d’Antoine Kirscher en Alain, le prétendant ridicule. Enfin, joie contagieuse d’un corps de ballet affichant une belle santé, et qui, on l’a dit, a l’air de prendre un plaisir extrême à cette pétillante comédie, bien plus difficile à rendre opérationnelle qu’il n’y paraît. Miraculeux, donc.  
 
Jacqueline Thuilleux
 

Hérold : La Fille mal gardée (chor. F. Ashton). Paris, Palais Garnier, le 18 mars 2024 ; prochaines représentations les 21, 24, 25, 26, 27, 30, 31 mars & 1er avril 2024 // www.operadeparis.fr/saison-23-24/ballet/la-fille-mal-gardee

 
Photo © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris

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