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​La Fille de Madame Angot en version de concert au théâtre des Champs-Elysées – C’était la peine, assurément – Compte-rendu

Quand on y réfléchit, ne serait-ce pas un grand service à rendre au répertoire français que de bannir de la langue le mot « opérette », qui charrie encore des tombereaux de connotations négatives, entre le vulgaire et le démodé, le kitsch et le nul ? Dès lors qu’on se rappelle que La Fille de Madame Angot est techniquement un opéra-comique (tout comme Les Cloches de Corneville ou La Mascotte), les oreilles sont libérées de tous les préjugés associés à un genre qui est pour beaucoup d’esprits l’incarnation même de la ringardise, et il redevient possible d’écouter sereinement une œuvre exquise, truffée d’airs célèbres et d’un grand raffinement d’écriture.
Est-ce l’effet du retour à la partition originale ? Le chef-d’œuvre de Charles Lecocq, présenté au Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre du festival annuel du Palazzetto Bru Zane, révèle plus d’un passage où l’on remarque tantôt une orchestration digne de ses meilleurs contemporains (par exemple, dès le premier air de Clairette, « Je vous dois tout »), tantôt une finesse de trait qui renvoie aux passages les plus inspirés du genre opéra-comique (on songe ainsi à rapprocher le quintette du deuxième acte du quintette des contrebandiers, écrit quelques années plus tard par celui qui fut l’heureux lauréat ex aequo du concours instauré en 1856 par Offenbach). La présence de toute la faune des Halles de Paris apporte ses moments de truculence, d’où une héroïne « forte », échappant à toute nunucherie qui lui serait aujourd’hui fatale. Bref, La Fille de Madame Angot est remplie d’admirable musique, le livret en est souvent d’une drôlerie qui fait encore mouche, et l’on regrette que Paris ne l’ait plus entendue – sauf erreur – depuis la production montée au Châtelet en 1984 par Jean-Claude Brialy.
 

Sébastien Rouland © Kaufhold

« Ce n’était pas la peine, assurément, de changer de gouvernement », selon le contre-révolutionnaire Ange Pitou, mais il valait incontestablement la peine de redonner sa chance à cette partition, surtout en lui donnant tous les moyens de briller. L’enregistrement mis en boîte cet hiver aura permis de se rôder à une équipe qui se déchaîne en concert. Si l’on regrette d’abord que le Chœur du Concert Spirituel, relégué en fond de plateau, soit un peu lointain – on n’entend pas assez la différence entre ce que disent sans R les Incroyables et ce que chantent les autres personnages –, on s’y accoutume bientôt, et c’est un bémol qui disparaîtra au disque à venir.

Emmené avec verve par Sébastien Rouland, l’Orchestre de chambre de Paris rend toute son élégance à une œuvre servie par une distribution francophone et rompue à ce genre. Le PBZ peut désormais compter sur ses fidèles collaborateurs, y compris dans les plus petits rôles. Flannan Obé a cette fois bien à chanter, mais qui d’autre que lui donnerait un tel relief aux « Pe’dus… Pe’dus… Pe’dus… » de l’Incroyable ? En Louchard, Antoine Philippot n’intervient guère que dans le quintette mentionné plus haut, mais il excelle en policier obtus. Ingrid Perruche joue son texte comme personne et hérite d’un des airs les plus célèbres de la partition. C’est plus que le personnage de Larivaudière, pourtant plus central dans l’intrigue, qui n’a droit qu’à des duos et ensembles, Matthieu Lécroart incarnant fort bien le « vieux laid » corrompu. Artavazd Sargsyan prête un joli timbre au perruquier Pomponnet ; dommage que sa romance « Elle est tellement innocente » soit prise sur un rythme presque trop allant.

Une tradition a voulu faire d’Ange Pitou un baryton (Gabriel Bacquier dans une des intégrales jusqu’ici disponibles), mais à la création, le rôle, écrit en clef de sol et non de fa, était confié à un ténor : Mathias Vidal y excelle, avec un luxe de nuances qui donne au personnage son ambiguïté. Il bénéficie par ailleurs des deux versions (création mondiale à Bruxelles en 1872, puis création parisienne en 1873) de son duo avec Larivaudière, puis du « duo politique » avec Lange. Même si elle est absente du premier acte, Mademoiselle Lange n’en bénéficie pas moins ensuite de toute une série de superbes pages ; Véronique Gens lui donne toute sa hauteur, tout en prenant plaisir au crêpage de chignon qui l’oppose finalement à sa rivale, Anne-Catherine Gillet (photo) traduisant idéalement toutes les facettes du rôle-titre, de l’innocence plus ou moins feinte du début jusqu’à la maestria de la meneuse de jeu du dénouement. A quand le disque ? Bientôt, on l’espère.

Laurent Bury

Lecocq : La Fille de Madame Angot (version de concert) – Paris, Théatre des Champs-Elysées
Photo ©

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