Journal
La Dame aux Camélias, de John Neumeier au Palais Garnier – Chrysanthèmes – Compte-rendu
Il y a un peu plus de vingt ans, en juin1997, John Neumeier offrait à l’Opéra de Paris l’une de ces héroïnes brûlantes comme le ballet ou l’opéra aiment à les enserrer, et qu’il a toujours célébrées : sa Sylvia, hommage à l’Ecole française, portée par l’exquise musique de Delibes. Un ballet complexe, riche, et d’une grande difficulté d’interprétation en raison de sa grande subtilité. Malheureusement l’Opéra peine à reprendre cette œuvre qui lui allait comme un gant. Il lui préfère, et cela peut se comprendre, la tragédie mondaine qui frappa tant Verdi, cette Dame aux Camélias, qu’il transforma en Traviata un an après, avoir vu la pièce de Dumas fils à Paris, en 1852 .
Très sensible à l’histoire bouleversante de la courtisane phtisique, Neumeier en tira cette sorte d’album où il tourne les pages de l’histoire avec cet art du rebond et du dédoublement qui font que le drame s’enrichit d’un regard multiple, montrant aussi bien l’histoire de Manon, livre favori de Maris Duplessis, la vraie héroïne dont Dumas fils tomba amoureux, que la dispersion de ses biens dans une totale indifférence. Seule touche humaine au milieu de ce débarras, la nostalgie de la gouvernante et le chagrin d’Armand Duval et de son père.
Le chorégraphe fait ressentir, moins cependant que Verdi, le poids de la société qui étouffe la jeune femme autant que sa maladie mortelle, il sonde l’immensité de sa solitude, un bref moment vaincue par la passion partagée, en une succession de tableaux poétiques ou déchirants.
Svetlana Loboff / Opéra national de Paris
Pensé et fait aux mesures de la grande Marcia Haydée à Stuttgart en 1978, le rôle est évidemment d’or pour les ballerines, qui doivent y déployer toute une gamme d’émotions contradictoires, que la splendeur des robes et la violence des lumières rendent encore plus cruelles. L’Opéra lui ouvrit donc ses portes en 2006 et les plus belles étoiles de la maison y laissèrent leur trace, de Dupont à Ciaravola, d’Abbagnato à Letestu, sans doute la plus tragédienne de toutes, au point qu’elle y fit ses adieux et lui reste viscéralement attachée. Aujourd’hui, c’est au tour de Léonore Baulac, minois mutin, blondeur et taille enfantines, parfaite image d’une Camille ou Madeleine de la Comtesse de Ségur. L’étoile, qui danse parfaitement et diffuse un charme vaporeux, devait ici incarner un personnage d’une ampleur dramatique à laquelle elle n’est peut être pas habituée. Appliquée, gracieuse, usant plus de la manière que du geste esquissé comme sait si bien les glisser Neumeier, elle semblait plus préoccupée de ne pas trahir les pas compliqués du chorégraphe que de diffuser les non dits d’une danse qui en fourmille. Du coup, le drame se vidait, et certains pas de deux d’une intensité incroyable avec leurs retournements psychologiques devenaient linéaires, notamment celui du 1er acte, ou la scène avec Monsieur Duval, incarné élégamment par Yann Saïz.
Svetlana Loboff / Opéra national de Paris
A vrai dire personne n’avait l’air vraiment concerné dans cette soirée où le beau Mathieu Ganio semblait aux abonnés absents, ainsi que le chef James Tuggle et les deux pianistes, Emmanuel Strosser et Frédéric Vaysse-Knitter - puisque la base musicale fait alterner toutes sortes de pièces de Chopin, y compris des extraits des deux concertos. On a néanmoins beaucoup apprécié la présence et l’éclat d’Eve Grinsztajn en Manon, tandis que l’abattage d’Héloïse Bourdon en Prudence, convainquait moins par son côté exagérément racoleur.
La danse est fragile, et de façon d’autant plus sournoise qu’on peut s’en désintéresser même si les interprètes sont beaux et d’une technique accomplie, ce qui était le cas dans cette distribution. Cette Dame qui demeure un chef-d’œuvre, a montré qu’elle pouvait facilement descendre de son piédestal, et malheureusement, porter le poids des ans.
Jacqueline Thuilleux
La Dame aux camélias (chor. J. Neumeier) - Paris, Palais Garnier, 7 décembre ; prochaines représentations les 10, 12, 14, 15, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 25 et 27, décembre 2018, 2 et 3 janvier 2019
www.operadeparis.fr
© Svetlana Loboff / Opéra national de Paris
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