Journal

La Chute de la maison Usher de Debussy par la compagnie Winterreise au Musée Henner – Claude-Achille par lui-même achevé – Compte rendu

On sait qu’après Pelléas, Debussy travailla vainement sur plusieurs projets d’opéra, sans jamais pouvoir en mener à bien un seul. Après Maeterlinck, c’est surtout à Edgar Poe qu’il s’intéressa : on se demande ce qu’il aurait donné sur un texte aussi narquois que Le Diable dans le beffroi, qu’il abandonna bientôt (et dont Gérard Pesson a fait le dernier de ses Trois contes) (1) , et l’on a souvent tenté de mettre en scène la vingtaine de minutes de musique qu’il a écrite sur le livret qu’il avait lui-même tiré de La Chute de la maison Usher. Plusieurs compositeurs d’aujourd’hui ont essayé de compléter cette partition fragmentaire pour lui donner les dimensions d’un spectacle, mais rares sont les tentatives qui se sont avérées convaincantes.
 

Emmanuel Christien (piano) & Anne-Marine Suire (Madeline) © Compagnie Winterreise
 
Directeur de la compagnie Winterreise, Olivier Dhénin a eu, lui, une idée aussi simple qu’efficace : plutôt que d’adjoindre à l’existant une musique forcément différente, pourquoi ne pas compléter Debussy par du Debussy ? En insérant quelques scènes en mélodrame – le texte du livret déclamé par-dessus quelques préludes pour piano de Debussy, dont Ce qu'a vu le vent d'ouest, saisissant dans ce contexte – et quelques mélodies de Debussy sur des textes du compositeur lui-même – les hélas trop peu données Nuits blanches, et l’une des Proses lyriques, à peine plus fréquentées – il a su conférer à cette Chute de la maison Usher la cohérence dramatique et musicale qui lui manquait. Il devient ainsi possible d’apprécier comme une véritable œuvre scénique ce que Debussy n’a eu ni la force ni le goût d’achever, et cela sans que l’on ait à entendre une seule note qui ne soit pas de lui. Pas d’orchestration postérieure « à la manière de », mais une partition continue pour piano seul, admirablement interprétée par Emmanuel Christien.
 

Olivier Gourdy (l'ami) & Bastien Rimondi (le médecin) © Compagnie Winterreise

Dans le cadre proustien du jardin d’hiver du Musée Henner (que ne menace, par bonheur, aucune de ces lézardes qui finiront par faire s’écrouler la maison Usher), Olivier Dhénin a mis en scène un spectacle simple, où les chanteurs, sobrement et sombre vêtus, évoluent dans un espace ménagé entre les rangs de chaises réservés au public. Ces quatre jeunes artistes incarnent leur rôle avec beaucoup de conviction, selon une répartition des timbres habituellement adoptée là où Debussy semble avoir fait appel à la même tessiture pour les trois personnages masculins : l’Ami est basse, Roderick Usher baryton, et le médecin ténor.

Unique voix féminine, Anne-Marine Suire voit son très court rôle étoffé par « Nuit sans fin », la première de deux Nuits blanches, chanté avec beaucoup de sensualité ; on regrette seulement que la netteté de la diction se perde dans l’aigu. Après avoir participé au projet « Volez, Zéphyrs » du CMBV (2), Olivier Gourdy (photo à dr.)  montre ici encore la qualité de son timbre, mais son jeu scénique peut encore gagner en naturel. Bastien Rimondi campe un médecin savoureusement ambigu, et bénéficie pour sa part de l’ajout de la prose lyrique « De fleurs », qui sollicite davantage son registre aigu. La prestation la plus impressionnante reste incontestablement celle d’Alexandre Artemenko (photo à g.), Roderick Usher très impressionnant par l’engagement dramatique dont il fait preuve à chaque instant, non seulement dans le monologue très développé que lui a prévu Debussy, mais aussi dans « Lorsqu’elle est entrée », deuxième des Nuits blanches, dont le caractère tourmenté complète ici fort bien le portrait du personnage.

Laurent Bury

(1) www.concertclassic.com/article/trois-contes-de-gerard-pesson-rennes-neo-trittico-compte-rendu 
(2) www.concertclassic.com/article/volez-zephyrs-au-chateau-de-thomery-le-bel-essor-compte-rendu

Debussy : La Chute de la maison Usher – Paris, Musée national Jean-Jacques Henner (43 av. de Villiers – 75017), jeudi 25 novembre ; prochaine et dernière représentation le 27 novembre 2021 ( à 19h30  ) // musee-henner.fr/agenda/evenement/opera-la-chute-de-la-maison-usher

Photo © Compagnie Winterreise

Partager par emailImprimer

Derniers articles