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Trois Contes de Gérard Pesson à Rennes – Neo-Trittico – Compte-rendu

Gérard Pesson aime trop la musique de Puccini pour s’offenser d’un parallèle auquel il a peut-être lui-même songé : on peut rapprocher son opéra Trois Contes du Triptyque de son aîné, créé presque exactement un siècle plus tôt, même si notre début de XXIsiècle penche résolument plus du côté de l’ironie de Gianni Schicchi et délaisse le mélodrame du Tabarro ou le mysticisme de Suor Angelica. C’est un goût de dérision qui flotte un peu sur les trois volets : celle qu’Edgar Poe lui-même a mise dans son Diable dans le beffroi, celle que les concepteurs ont introduite dans leurs variations sur le conte d’Andersen La Princesse au petit pois, et celle qui naît de la juxtaposition entre la passion du collectionneur Jacques Guérin et la trivialité de son entourage dans Le Manteau de Proust d’après le livre de Lorenza Foschini.
 

© Laurent Guizard 

Deux ans et demi se sont écoulés depuis la création très applaudie de Trois Contes à l’Opéra de Lille et leur première reprise : jusqu’ici, Rennes est le seul des coproducteurs à avoir pu remonter l’œuvre, et ce ne sera pas encore cette saison qu’il pourra être accueilli à Rouen ou à Nantes. C’est dommage, mais Gérard Pesson y gagne au passage de nouveaux artistes connaissant sa partition, et même plus que prévus. Marc Mauillon et Enguerrand de Hys n’ont pu participer à cette reprise, mais Camille Merckx a elle aussi dû renoncer in extremis, d’où un supplément de distanciation dans La Princesse au petit pois : Victoire Bunel chante le rôle de la Reine, mais c’est le metteur en scène David Lescot lui-même qui le joue sur scène.
 

© Laurent Guizard

Le spectacle de David Lescot n’a rien perdu de sa beauté : superbes costumes du Prince et de ses parents dans le premier volet, magie de l’enchaînement des scènes proustiennes qui se succèdent avec un défilé de plateaux mobiles de jardin à cour, naïveté d’un livre pop-up pour le monde caricatural imaginé par Poe enfin. La musique de Gérard Pesson est elle aussi bien différente pour chacun des trois actes : La Princesse est truffé de clins d’œil, de Debussy-Ravel à Richard Strauss et Messiaen en passant par Chopin et Elli Medeiros ; la nostalgie du Manteau de Proust appelle un discours moins démonstratif ; Le Diable dans le beffroi remplace presque entièrement le chanté par le parlé du conférencier et par le violon du diable.
 

Aurélien Azan Zielinski, chef associé à l'Orchestre national de Bretagne © William Beaucardet
 

Malgré des profils et des qualités qui les distinguent des créateurs, les trois nouveaux venus s’intègrent fort bien à la distribution. S’il n’a pas la diction claironnante de Marc Mauillon, Armando Noguera confère une belle épaisseur au personnage de Jacques Guérin ; Pierre Derhet est un Prince combinant candeur et vaillance ; et l’on regrette que le beau timbre de Victoire Bunel ait moins d’occasions de se faire entendre passé le premier volet. Maïlys de Villoutreys est toujours une aussi séduisante Princesse, notamment dans le superbe trio où sa voix s’enlace à celles du Prince et de l’autre Princesse, Melody Louledjian dont on apprécie également la Guide délicieusement blasée du musée Carnavalet. Jean-Gabriel Saint-Martin a peu à chanter mais sa présence est indéniable. Jos Houben reste un très amusant Conférencier, et Sung Im Her danse toujours son Diable avec autant d’espièglerie. Sous la baguette d'Aurélien Azan Zielinski, l’Orchestre national de Bretagne (ici réduit à une vingtaine d’instrumentistes, avec un grand rôle réservé aux percussions) a parfaitement su s’approprier une musique qui, pour être de notre temps, n’en est pas moins de nature à convaincre les plus réfractaires.

Laurent Bury

Pesson : Trois Contes – Rennes, Opéra, 21 novembre 2021 / www.opera-rennes.fr/fr/evenement/trois-contes
 
Photo © Laurent Guizard

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