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​La Chronique d'Emilie Munera - Un oublié nommé Pierné

 
Le répertoire musical Français des XIXe et XXe siècles est aujourd’hui unanimement célébré dans le monde. Les opéras de Gounod, Bizet et Massenet trouvent chaque saison leur place sur les plus grandes scènes internationales. Il en est de même pour Berlioz, Saint-Saëns et Fauré. Quant à Debussy et Ravel, il ne se passe pas une semaine sans qu’on ne les croise au disque ou au concert.  La musique française est donc visible partout, et pourtant … on peut regretter que toute une génération de compositeurs nés dans les années 1860 et 1870, restent encore dans l’ombre de ces géants : ils ont pour nom Guy Ropartz, Déodat de Séverac, Gabriel Dupont, Philippe Gaubert ou Jean Cras ; on leur doit de grandes pages chambristes, symphoniques ou pianistiques. Mais leur musique reste injustement méconnue.
 

Gabriel Pierné (1863-1937) © Roger Viollet - Warner Classics

C’est aussi le cas de la production du compositeur qui nous intéresse aujourd’hui : Gabriel Pierné. Ce musicien est né à Metz il y a tout juste cent soixante ans et son œuvre la plus célèbre, le ballet Cydalise et le Chèvre-pied, fête cette année le 100e anniversaire de sa création. Il reste cependant aujourd’hui étonnement absent des programmes de concert. Gabriel Pierné ne fait pourtant pas partie des grands oubliés de l’histoire de la musique. Son nom apparaît très régulièrement dans les ouvrages spécialisés. Mais il y est plus vanté pour ses talents de chef d'orchestre que pour ses compositions. Prix de Rome en 1882, Pierné va succéder à son maître César Franck à l’orgue de l’église Sainte-Clotilde avant d’être nommé chef des célèbres Concerts Colonne en 1910. Il le demeurera durant vingt-quatre ans, défendant les œuvres nouvelles de Debussy, Ravel, Honegger, Roussel, Milhaud et tant d’autres. Créateur de L’Oiseau de feu de Stravinski, d’Iberia de Debussy, du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns ou de la 3e Symphonie d’Enesco, Pierné soutint avec curiosité, flamme et brio tous les courants musicaux de son époque.
 

Monogramme de Gabriel Pierné © Coll. part
 
Pourtant, si on le voit très sensible aux évolutions musicales de son temps, son langage musical restera toujours attaché au XIXe siècle, son écriture ne s’inscrivant dans aucune révolution stylistique. On n’y retrouve ni l'influence des harmonies wagnériennes, ni les délicates touches impressionnistes debussystes. A une époque résolument inventive et moderniste, son œuvre apparaît probablement plus désuète. Il n’en fallait pas plus pour que la musicologie le relègue au rang de “petit maître”.
 

Je ne me ferai pas l’avocat du diable : le corpus de Gabriel Pierné ne se compose pas que de trésors injustement oubliés. Mais ses compositions (ni emphatiques ni pédantes) font partie de celles dont la sensibilité et la délicatesse touchent et séduisent immédiatement. Ses pièces lyriques et animées nous semblent même étrangement familières. A commencer par le fameux Cydalise et le Chèvre-pied. Lors de sa création, le 15 janvier 1923 à l’Opéra de Paris, Falla, Milhaud ou Prokofiev ont déjà composé leurs ballets les plus innovants. Avec Cydalise, Pierné ne s’inscrit pas dans leur sillage : le langage reste classique mais la subtile palette de couleurs déployée, les jeux sur les timbres et les rythmes, la richesse de l'orchestration, le traitement du chœur en font une partition pleine d’imagination et d’ingéniosité. “Nos snobs musicaux n’aimeront pas cette œuvre, écrivait André Messager, tant mieux, ce sera la preuve qu’elle est belle”.
 
Dans les Paysages franciscains (1920) Pierné dévoile une autre facette de son art dans une partition éthérée et subtile, sorte d’hommage élégiaque à son ami Debussy, mort deux ans plus tôt. Certaines de ses pages pour piano ont, quant à elles, le charme des romances sans parole de Mendelssohn ou les harmonies audacieuses des plus belles pièces de Fauré à qui est d’ailleurs dédié un autre bijou piernéen : le Quintette avec piano op. 41 (1916-1917), pièce aux rythmes complexes et d'une écriture pleine de panache.
 

© Coll. part. 

 Toutes ces œuvres tracent le véritable portrait de Gabriel Pierné : un musicien fidèle à un idéal musical bien défini, mais habité tout au long de son existence d’une insatiable curiosité doublée d’une grande ouverture d’esprit. A défaut d’entendre sa musique sur scène, ruez-vous sur les disques qui sortent ces jours-ci : le Canadien Antoine Laporte consacre son dernier enregistrement (1) à une sélection de ses pièces pour piano. Quant au label Warner (2), il lui consacre un coffret de 10 disques regroupant l’intégrale de sa musique pour piano par Diane Andersen, ainsi que ses grandes réalisations chambristes, orchestrales et vocales.
 
Emilie Munera

 
(1)        2 CD Continuo Classics
(2)        10 CD Warner Classics (sortie officielle le 17/03/ 2023)

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