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La Chronique de Jacques Doucelin - Quand Paris oublie son devoir de culture

Heureusement que la bêtise ne tue plus depuis longtemps, sinon les peuples manqueraient de dirigeants ! Au détour d'une interview parue ces dernières semaines dans un hebdo au contenu rédactionnel estampillé « gauche caviar », mais à la publicité archi-Neuilly et XVIe arrondissement, une obscure cultureuse de la mairie de Paris s'est lâchée en se flattant que sept sur huit des concours internationaux de musique classique patronnés par la Ville de Paris allaient tomber au champ d'honneur de « coupes budgétaires déjà programmées... »

Les attendus de cette condamnation à mort valent leur pesant de cacahuètes et je m'en voudrais de vous en priver. Quitte à pleurer, ou plutôt quitte à mourir, mieux vaut que ce soit de rire, comme disait un génie trop oublié dans la galaxie énarchique, un certain François Rabelais. Un de ces concours échappera par miracle, en effet, à la vindicte municipale au motif que « nous nous concentrons sur le Concours de lutherie Etienne Vatelot... parce que l'homme est encore vivant... » (sic !)

Les bras de la Venus de Milo en repoussent. C'est donc cela la grande différence entre la gauche et la droite, car cette dernière qui n'aurait probablement pas fait beaucoup mieux vue la débandade financière actuelle, aurait du moins donné pour argument de ce sauvetage des raisons « économiques » : la lutherie initie tout un commerce artisanal. Essayons tout de même de rester calme et de reprendre notre sérieux pour affronter la folie et l'incohérence des hommes et des... femmes. Donc, on attend la mort des grands hommes pour fermer leur boutique. Souhaitons qu'elle vienne le plus tard possible concernant notre cher Etienne Vatelot, le médecin des Stradivarius, que l'on vient consulter depuis des lustres du monde entier et qui serait considéré au Japon comme un « trésor national ». En France, on a Johnny et Carla : fermez le ban.

Mais à l'aune de la vie, je me permettrais de livrer une information exclusive que Google n'a sans doute pas révélée à la sus-dite cultureuse municipale : parmi les titulaires d'un titre de concours, il y en a un autre qui n'est pas mort - longue vie à cet homme au souffle d'or ! - c'est le grand Maurice André, celui qui a fait de la trompette l'égale de la voix et du violon. C'est vrai qu'il s'est tu. Mais est-ce une raison pour oublier ainsi l'exemple fabuleux qu'offre aux jeunes – pas de Neuilly, mais de la banlieue laborieuse - celui qui est sorti de la mine de Carmaux pour chanter la gloire de Jean-Sébastien Bach et porter sa musique au plus grand nombre ? Si ce n'est pas cela l'ascension sociale, je veux être pendu ! Que ce soit une municipalité socialiste qui rate ainsi le coche avec un tel aplomb dans l'incompétence, laisse tout de même rêveur...Aux dernières nouvelles, notre ami Martial Solal, grand maître ès jazz, se porte lui aussi fort bien...

Tant qu'elle y est, on pourrait conseiller à la dame coupeuse de têtes d'étendre ses ravages à l'étranger en rappelant – courtoisement – à la Pologne et à la municipalité de Varsovie que Chopin est bien mort à Paris depuis 1849 et que cela fait vachement ringard d'afficher un Concours Chopin ! Et idem pour le tsar Poutine : mais qu'est-ce que c'est que ce Concours Tchaïkovski d'un autre âge, qui a même survécu aux purges staliniennes ! Je vous avais promis d'être sérieux... Bon. Huit concours donc pérennisent les noms de : Maurice André, Lily Laskine, Olivier Messiaen, Jean-Pierre Rampal, Mstislav Rostropovitch, Martial Solal, Etienne Vatelot ainsi que le Concours d'orgue. C'est la périodicité qui devrait être revue.

Le Concours Long-Thibaud – qui ne dépend heureusement pas de la Ville de Paris ! - revient tous les deux ans: c'est bien trop rapproché si l'on veut trouver de par le monde des candidats sérieux. Pour les Concours de la Ville de Paris, deux concours par an semblent raisonnables. Chaque concours reviendrait tous les quatre ans, ce qui paraît un bon rythme. A l'heure, où le Maire de Paris s'apprête à s'engager aux côtés de l'Etat et de la Région Ile de France dans la dispendieuse construction d'une « Grande Philharmonie » à la Villette, il ne serait guère judicieux de lui enlever ce qui lui revient de droit pour lui permettre d'asseoir sa renommée internationale. Attention, sous prétexte de pratiquer des coupes claires dans le budget de la culture municipale à ne pas jeter avec l'eau du bain, le bébé, la baignoire et même la robinetterie !

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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