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La Chronique de Jacques Doucelin - Quand l’Orchestre des Lumières éclaire Wagner à la bougie…

Ce début d’année symphonique à Paris a offert aux mélomanes un festival de brillantes baguettes et de soirées mémorables. A commencer par le grand Yuri Temirkanov à la tête de sa Philharmonie de Saint Petersbourg, l’irremplaçable Bernard Haitink avec l’Orchestre de chambre d’Europe, le stupéfiant benjamin Letton Andris Nelsons qui transfigure ses musiciens de Birmingham ou Zubin Mehta qui demeure royal à la tête de l’Orchestre du Mai florentin. On planait ainsi sur des sommets jusqu’au concert de la phalange baroque anglaise dite des « Lumières » menée par Vladimir Jurowski qui incarne la relève de l’école russe, et ce loin de toute préoccupation antiquisante.

C’est le programme surtout qui attirait l’attention de la part de musiciens rompus dans la fosse du Festival de Glyndebourne au répertoire du XVIIIe siècle, avec rien moins que le Prélude de Parsifal de Wagner, deux pièces de Mahler et les Préludes de Liszt ! Avaient-ils fait l’effort, comme l’Orchestre romantique et révolutionnaire de John Eliot Gardiner avant de s’attaquer aux Troyens de Berlioz, de se familiariser avec les premiers instruments fabriqués pour interpréter ces musiques ? Car les plus grands compositeurs sont toujours en avance sur leur temps et sur les oreilles de leurs contemporains : frustrés par la lutherie existante, ils furent ainsi à l’origine de ses principaux progrès.

Ca n’est donc pas rendre un bien fier service à ces créateurs que, pour de vagues raisons d’authenticité, de les cantonner dans les limites de l’instrumentarium qui leur avait donné tant de fil à retordre dans leur jeunesse ! Inutile de vous dire que ce traitement appliqué à l’ultime opéra de Wagner a fait un vrai flop : alors qu’en 1882 – un an donc avant sa mort - l’auteur du Ring joue en virtuose de ses principales innovations, à commencer par le jeu de « tuilage » des leitmotive et des timbres, c’est le priver de son mode d’expression favori que de le faire entrer au chausse-pied dans l’orchestre de Schubert ! C’est non seulement un contresens esthétique, une trahison de cette musique, mais c’est la négation même de ce qui justifie la démarche baroque, à savoir la recherche d’une cohérence historique maximum entre la lutherie employée et l’esprit du compositeur.

Le savant orchestrateur que fut Gustav Mahler dès sa jeunesse ne souffre pas moins de ce traitement, principalement dans ce Poème symphonique intitulé Totenfeier (Cérémonie funèbre), à la jonction de ses deux premières Symphonies. Il sera d’ailleurs réemployé dans la deuxième. Contemporains des pièces précédentes, les Chants du compagnon errant ont certes bénéficié du concours de la superbe mezzo britannique Sarah Connolly, qui ne suffit toutefois pas à remettre au diapason les couacs habituels des cors chez les « baroqueux » …, ni à empêcher une corde en boyau du violon solo de lâcher prise entre deux mélodies ! Les célèbres Préludes de Liszt y perdirent leur modernité pour régresser dans un pathos d’une affligeante banalité.

Ne comptez pas sur moi pour remettre en cause la démarche baroque en musique : entre l’Atys de Lully ramené à la vie par William Christie et Les Troyens de Berlioz enfin honorés à Paris grâce à Gardiner, les réussites ne se comptent pas. Chaque fois, ces grands musiciens ont pris soin d’accorder leurs moyens musicaux et vocaux aux exigences des compositeurs. Au point qu’il devient évident et désormais nécessaire d’appliquer un traitement décapant du même type à la suite du répertoire en revenant aux effectifs et surtout aux instruments d’origine, comme par exemple le basson français, non seulement dans notre répertoire national, mais aussi pour l’école russe de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Il faudra bien un jour resserrer les boulons instrumentaux de l’œuvre symphonique de nos Bizet, Franck, Fauré, Debussy et Ravel, Mais, bien sûr, en tenant compte du fait que la lutherie de ces derniers musiciens n’est pas plus celle de Rameau que celle de Stockhausen ! Sous peine de réitérer le péché contre l’esprit commis par l’Orchestre des Lumières en éclairant à la bougie la musique de Richard Wagner...

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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