Journal

La Chronique de Jacques Doucelin - La culture n’a plus la cote

Malraux a dû se retourner dans sa tombe ! L’inventeur de ces « usines à rêves » que furent les Maisons de la culture dans les années 60-80 n’aurait pu qu’être choqué par l’intitulé d’un récent document émanant du ministère de la culture : « Culture pour chacun, programme d’actions et perspectives ». Signé d’un conseiller du nom de Francis Lacloche, ce texte précise qu’il s’agit de « passer de la culture pour tous à la culture pour chacun ». Pour ceux qui comme moi n’y verraient pas une bien grande différence, il est indiqué dans la plus parfaite langue de bois que ce virage part d’un constat terrible, à savoir « le résultat décevant des politiques de démocratisation » (de la culture, ndlr).

La belle affaire ! Mais la faute à qui ? A ceux qui se sont montrés incapables de se donner les moyens matériels et financiers de leurs ambitions affichées et de la politique qu’ils prétendaient mettre en œuvre dans l’Hexagone, que ce soit la droite ou la gauche. Ce coup de gong ministériel finalement assez logique a provoqué une levée de boucliers dans le landerneau des « cultureux » qui voient toujours leur fromage menacé par la réduction des subventions. Comme quoi, c’est souvent pour de mauvaises raisons qu’on proteste contre de mauvaises décisions… Voilà qui promet, soit dit en passant, un bel avenir aux susdits décideurs !

Dans l’Europe prétendument unie, la France continue de privilégier la culture si l’on considère le montant des subsides qu’elle lui consent. Car les autres pays équivalents - Allemagne, Grande Bretagne ou Italie – se montrent beaucoup plus pingres misant plus que nous sur le mécénat privé. Qu’il y ait chez nous une baisse du côté des subventions d’Etat, c’est une réalité incontestable et explicable par la crise mondiale. Mais il n’y a pas encore de danger mortel. En revanche, autrement inquiétant paraît le désengagement financier de plus en plus proclamé du Ministère de la culture qui compte sur les diverses collectivités locales pour pallier ses défaillances. On peut faire confiance aux têtes d’œuf du Ministère des finances pour faire sauter au passage quelques lignes dites « budgétaires » dans les fameux crédits culturels déconcentrés vers les régions.

Certains professionnels s’offusquent d’un projet prêté à Frédéric Mitterrand de remettre directement la gestion d’une part de ces crédits aux principaux pôles que constituent les capitales de région, voire les communautés urbaines qu’elles ont su développer autour d’elles. Pour sillonner le pays, je puis témoigner de ce que nos grandes villes ne se débrouillent pas si mal que cela. Elles ne se contentent pas d’injecter de l’argent dans la diffusion du spectacle vivant : toutes ou presque ont mis en place des politiques de formation du jeune public en aidant les actions entreprises en ce sens par leurs propres institutions lyriques ou symphoniques. Cela est vrai de Montpellier à Strasbourg, de Bordeaux à Angers-Nantes, de Nancy à Toulouse, Paris constituant un cas bien évidemment à part en raison de l’intervention de l’Etat comme de la Ville.

Ce qui paraît le plus grave et de loin le plus inquiétant pour ce qui concerne la musique dite « classique », c’est qu’elle soit de plus en plus ouvertement et de façon répétée qualifiée d’ «élitiste», voire d’ «élitaire», par ceux-là mêmes qui devraient en être les défenseurs. Ces derniers n’oseraient jamais affirmer les mêmes inepties lorsqu’il s’agit de peinture ou de sculpture ! Il faudrait tout de même un peu de logique dans l’action culturelle : un peu de courage que diable ! Avouez franchement que vous préférez les tags à la Joconde et que vous allez les protéger et aider leurs auteurs. Ca serait plus franc du collier.

C’est exactement comme si la musique qu’ils traitent de « sérieuse » leur faisait peur. Ah ! Johnny lui au moins, ça rassure, il ne vous prend pas la tête et ne vous force pas à réfléchir, même s’il ne paye pas ses impôts dans le pays où il a amassé sa fortune... On a parfaitement le droit de ne pas aimer la musique classique. Loin de moi le désir d’imposer à ses détracteurs d’apprécier Monet, Picasso, Delacroix, Poussin, Ingres, Boulez ou Gaston Chaissac. Le droit à la bêtise est aussi imprescriptible et universel que celui à la liberté de conscience. C’est de toute autre chose dont il s’agit ici : peu à peu, sous prétexte qu’on refuse soi-même de faire l’effort minimum que suppose l’accès à Berlioz, Goya, Beethoven, Proust, Flaubert, Bach, Manet, Messiaen, Baudelaire ou Dutilleux, on enlève aux autres la possibilité de le faire et l’on s’en tire en vantant ce à quoi on accède sans effort, sans technique, sans discipline, sans apprentissage. Toujours au nom de la sacro-sainte facilité ! Mais comme dit l’autre, « l‘art est difficile »

Que voulez-vous, la « Star Ac’ » c’est tout de même plus facile d’accès pour tous ceux qui n’ont pas reçu à l’école publique la formation qu’on y dispensait à tous il y a encore pas si longtemps. Car c’est peu de dire que le niveau intellectuel des Français n’a cessé de baisser de façon inquiétante depuis trente ans. Si j’ai tort, alors pourquoi les présidents d’Universités viennent-ils d’instituer des cours de rattrapage en français à l’entrée de leurs établissements ? C’est bien que les élèves étudiants qui sortent des lycées et collèges ne sont pas au niveau en orthographe et incapables en l’état de suivre les cours ! Le malheur pour nos dirigeants, c’est sans doute que la culture - la vraie qui est d’abord effort individuel sur soi-même - ne soit pas susceptible d’être congelée, prédigérée comme de vulgaires produits industriels pour supermarchés. En conséquence, tout ce qui exige le plus petit effort est soigneusement banni de tous les projets politiques qui ne visent qu’à flatter la paresse d’électeurs potentiels. La démagogie finira-t-elle par tuer la démocratie ? Vieux sujet de réflexion… pour la culture.

Jacques Doucelin

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Jacques Doucelin
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles