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La Chronique de Jacques Doucelin - La crise a bon dos

On se dit parfois que la crise a bon dos… Qui a parcouru l’Hexagone durant ces deux mois de vacances, a pu constater qu’effectivement les Français ont rogné sur la durée de leur séjour au détriment des hôteliers et des restaurateurs. Mais, et cela est fort intéressant, ils n’ont pas renoncé pour autant à la « consommation culturelle » qu’ils s’autorisent durant ces mois de loisirs. Sans parler des phares de l’été en matière de festivals musicaux que sont Aix, Orange ou Montpellier qui ont fait le plein, les manifestations de dimension plus modeste, qui constituent notre terreau culturel, ont continué d’attirer les mélomanes. Pas de doute qu’il faudra attendre l’été 2010, lorsque la crise économique devrait atteindre son pic à en croire les augures officiels, pour juger de son impact réel sur le monde de la fête estivale hexagonale.

Est-ce en prévision de ce reflux annoncé que la direction du Festival d’Aix-en-Provence a drastiquement réduit la durée de son édition 2010 ? La voilà donc, en effet, amputée d’une décade puisqu’elle aura lieu du 2 au 22 juillet prochain. Avant de nous interroger sur les véritables raisons de cette coupe claire, alors que justement la présence désormais de deux salles fermées - le Grand Théâtre de Provence et celui du Jeu de Paume - aurait dû inciter Bernard Foccroulle, enfin libéré des aléas de la météo, à rallonger le prochain festival, je voudrais lever le voile sur ce qui vous attend en 2010.

Car si l’affiche n’est pas encore complète, ce qui a été annoncé par les responsables du festival en juillet est plus que prometteur. Quatre spectacles lyriques vous sont proposés en vingt jours. Retour aux fondamentaux - ou au fondamental si vous préférez - en ouverture avec sa majesté Don Giovanni du Sieur Mozart pour les vrais grands débuts à Aix de Louis Langrée qui apparaîtra à quarante-neuf ans comme le vrai successeur de Charles Münch. Il avait dirigé en 2008 les fragments de Zaïde du même Mozart qu’il a beaucoup fréquenté au Festival de Glyndebourne avant de prendre la direction du « Mostly Mozart » à New York. Le grand seigneur méchant homme sera mis en scène par le jeune moscovite Dmitri Tcherniakov auquel on doit un passionnant Eugène Onéguine de Tchaïkovski pouchkinien en diable offert aux Parisiens par Gerard Mortier en ouverture de sa dernière saison à l’Opéra de Paris.

Dans la fosse, l’Orchestre baroque de Fribourg qu’on retrouvera dans la version parisienne d’Alceste symbole de la fameuse réforme de Gluck. Cette fois, le metteur en scène sera le jeune Allemand Christof Loy. Ensuite, baroque français avec le Pygmalion de Rameau qui traversera l’Europe pour le trentième anniversaire des Arts Florissants de William Christie. Petit plus à Aix où l’ouvrage sera mis en scène par la chorégraphe Trisha Brown. Le Rossignol de Stravinski sera coproduit avec les Opéras de Toronto et de Lyon dont l’orchestre et le chef Kazushi Ono seront dans la fosse, le scénographe canadien Robert Lepage signant la mise en scène.

A ces quatre opéras, pourrait s’ajouter une création mondiale présentée par l’Académie européenne d’Aix et l’ensemble Musicatreize de Roland Hayrabedian au Grand Saint Jean si les travaux d’aménagement y sont achevés à temps. Car beaucoup d’incertitudes, comme je vous le disais, subsistent encore quant au déroulé et au programme du Festival d’Aix 2010. C’est ainsi qu’on ignore encore les dates des différents spectacles lyriques. Après la collaboration avec le Philharmonique de Berlin pour le Ring de Wagner, Bernard Foccroulle a annoncé un contrat de quatre ans avec le London Symphony Orchestra. La célèbre phalange britannique sera dans la fosse pour deux opéras en 2011 (première Traviata européenne de Natalie Dessay avec Louis Langrée au pupitre), puis en 2013.

L’été prochain, Sir Colin Davis célébrera son demi-siècle à la tête du LSO en dirigeant un concert Berlioz avec la mezzo française Sophie Koch. L’orchestre londonien apportera en outre à l’Académie européenne aixoise toute son expérience en matière de concerts pour les jeunes musiciens et le jeune public. Certains s’étonneront peut-être qu’aucune formation française n’ait pu être décentralisée en Provence comme ce fut le cas naguère avec l’Orchestre de Paris. On peut faire confiance au sens de l’économie du directeur artistique pour être sûr que le LSO fut le moins disant financier et le mieux disant artistique.

On sait, en effet, que Bernard Foccroulle, par ailleurs remarquable organiste, est devenu l’homme des situations financières désespérées depuis qu’il succéda à Gerard Mortier à la tête d’une Monnaie de Bruxelles endettée pour plus d’une décennie, puis à Stéphane Lissner à Aix embourbé dans l’aventure extravagante du Ring de Wagner donné avec le concours de la Philharmonie de Berlin. Car il ne s’agit même pas d’un problème esthétique ou philosophique consistant à s’interroger sur la pertinence de programmer Richard Wagner sous le ciel de Provence, mais bien d’un problème de pur raisonnement économique : comment payer les chambres individuelles d’un hôtel de grand luxe exigées par les 120 membres du plus célèbre et du plus cher orchestre du monde ?

Régulièrement à ma question répétée, les bons apôtres répondaient que c’était l’affaire de la Deutsche Bank, mécène de l’orchestre berlinois. Tu parles Charles ! Comment expliquer, si cela était vrai, que le budget du Festival 2009 ait été aussi difficile à boucler et que les bailleurs de fonds français aient exigé que le déficit soit partiellement reporté sur l’exercice 2010 ? En tout cas, voilà pourquoi votre fille chanteuse sera muette une décade en juillet 2010 ! Bernard Foccroulle est décidément bon prince en acceptant toujours de jouer les pompiers en sacrifiant ses propres choix artistiques aux ardoises laissées par ses prédécesseurs !

Car il ne faut pas s’y tromper : lorsqu’il a quitté le navire aixois au milieu du guet de la Tétralogie pour aller à la Scala de Milan, Stéphane Lissner savait parfaitement ce qu’il faisait et surtout ce qu’il avait fait. Il abandonnait son poste en se donnant l’avantage de laisser une comptabilité encore en excédent. Car ce que les fonctionnaires des finances, eux, ne savaient pas, c’est que les places pour les quatre opéras qui constituent le Ring peuvent se vendre groupées quatre ans à l’avance, ce qui aboutit à une assez jolie avance de trésorerie... mais hélas ! la source se tarit irrémédiablement pour les derniers spectacles. C’est pourquoi les exercices 2008 et 2009 ont été aussi tragiquement difficiles ! Ca n’est pas Zaïde qui allait renflouer les caisses du malheureux Bernard Foccroulle…

Il y a une autre raison, autrement plus grave, et qui constitue une erreur lourde de gestion que les technocrates qui réfléchissent à l’avenir français de Stéphane Lissner seraient bien inspirés de méditer, c’est tout simplement que compte tenu du coût exorbitant d’un Ring wagnérien, on ne saurait sans risque de faire capoter le projet, le programmer dans une salle trop petite. Le nouveau Théâtre de Provence aixois dont la capacité est tout juste celle de l’Opéra Comique à Paris (1.350 places), interdisait à tout esprit sain de s’engager dans pareille folie. Songez que Salzbourg dont le Festival de Pâques a coproduit cette Tétralogie offre une salle de 3.000 places… et encore sont-elles affichées le double du prix aixois (on a vu des Allemands faire le voyage à Aix pour payer moins cher !). Alors, la crise a bon dos… Les difficultés du Festival d’Aix-en-Provence, c’est la faute à Wagner. Heureusement qu’il n’est pas tombé par terre, comme le chantait Gavroche. Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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