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La Chronique de Jacques Doucelin - Culture pour chacun, Dieu pour tous...

Un tout petit mot de deux syllabes - chacun – vient de provoquer une tempête dans un verre d’eau. L’expression « culture pour chacun » employée à la fin de l’an dernier dans une note du ministère de la Culture en lieu et place de la formule rituelle depuis des lustres de « culture pour tous » a mis en transe le Landerneau des « cultureux ». C’est vrai que cela semble indiquer un repliement sur l’individu plus conforme aux pratiques imposées depuis quatre décennies par le système de consommation à tout va. Ne dit-on pas « chacun pour soi » ? Alors que « culture pour tous » satisfait à bon compte le rêve d’unanimisme qui sommeille en chaque partageux des productions de l’esprit…

Cette nouvelle querelle de mots aurait de quoi surprendre en un temps où l’analphabétisme ambiant émousse le vrai sens des mots quand elle n’en réduit pas le nombre au détriment évident de la force de la pensée. Avez-vous remarqué, peut-être même vous êtes-vous indigné, suivant en cela la belle exhortation de Stéphane Hessel, en entendant tous nos politiques, tous bords confondus, user et abuser dans leurs adresses au bon peuple d’« être en capacité » ! Cette locution doit être sortie de la bouche de quelque obscur enseignant à l’ENA, qui a contaminé l’ensemble de la classe politique.

Un psychanalyste facétieux pourrait s’amuser de ce que ce cliché fasse office de masque virtuel à une incapacité souvent bien réelle ! Certains ont même forgé de toute pièce de nouveaux mots comme ce désormais inévitable et parfaitement fantaisiste « inatteignable » employé par des journalistes (sic) de radio et de télévision, comme par de soi-disants universitaires jusqu’aux micros de France Culture, en lieu et place du brave adjectif inaccessible tombé aux oubliettes de l’Histoire ! Le malheur c’est que le fait de répéter ainsi à satiété des erreurs les répand comme une tache d’huile.

Revenons à nos partageux culturels. Oui, bien sûr, la culture pour chacun ça n’est pas exactement la culture pour tous. Mais en est-on encore là aujourd’hui compte tenu du désastre où a sombré notre enseignement général incapable d’apprendre correctement à lire et à écrire à tous nos gamins ? Il a fallu tout l’idéalisme unanimiste qui a caractérisé la fin de la dernière guerre mondiale pour qu’un Jean Vilar puisse offrir à tous grâce au Théâtre National Populaire un théâtre financièrement accessible à tous, mais au top niveau artistique avec les meilleurs comédiens de l’époque, de Gérard Philipe à Maria Casarès et Philippe Noiret.

Pour la musique dite classique, les Jeunesses Musicales de France assuraient dans tout l’Hexagone une authentique vulgarisation de sa diffusion tout en faisant appel aux jeunes espoirs issus du Conservatoire de Paris (ainsi de Samson François) au milieu d’anciens prestigieux comme Clara Haskil, Robert Casadesus, Wilhelm Kempff ou le Quatuor Amadeus. La clé de la réussite de ces extraordinaires expériences culturelles, c’est le prix d’accès défiant toute concurrence. Le prix des places reste aujourd’hui comme hier le sésame d’une authentique politique de vulgarisation de la culture savante.

Les artistes ont abandonné la gestion du Festival d’Avignon créé en 1948 par Vilar au profit d’énarques gestionnaires et le public est devenu la chasse gardée de spécialistes et d’amateurs pouvant acquitter le prix élevé des billets : le snobisme s’est insidieusement substitué à l’authentique vulgarisation originelle. Qu’on ne s’y trompe pas : la fameuse Philharmonie de Paris promise pour 2014 à La Villette avec ses 2.400 places ne sera économiquement viable et socialement acceptable que si elle a les moyens de pratiquer des prix vraiment populaires. Il ne faudrait pas confondre conditions d’accès populaires à des spectacles de qualité et manifestations racoleuses au rabais.

Faute d’argent, l’Etat n’en finit pas de se désengager : en somme, la politique de la caisse vide…

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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