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​La Chauve-Souris selon Laurent Pelly à l’Opéra de Lille (diffusion en région Hauts-de-France le 13 juin) – Au bon temps des fixe-chaussettes – Compte-rendu

 
Laurent Pelly a laissé à Lille quantité d’excellents souvenirs, dans des genres très variés : la Cendrillon de Massenet, Le Roi Carotte d’Offenbach, et plus récemment, l’extraordinaire réussite du Midsummer Night’s Dream de Britten (1) (on se réjouit d’apprendre que cette production exemplaire sera prochainement reprise en Suisse). Avec La Chauve-Souris, le metteur en scène devrait se trouver en terrain familier : l’opérette, qui lui va fort bien depuis un certain Orphée aux enfers, et un livret dérivé de Meilhac et Halévy, dont il a superbement monté La Belle Hélène, La Vie parisienne ou La Grande-Duchesse de Gérolstein.
Pourtant, à l’arrivée, le champagne ne pétille pas tout à fait autant qu’on l’aurait souhaité. Non que cette production manque de l’habituelle virtuosité « pellyenne ». Cette fois, c’est un peu le théâtre de boulevard qui se trouve déconstruit, avec ses maris et amants en caleçon et fixe-chaussettes, les costumes oscillant entre 1880 et 1930, dans un décor qui refuse le réalisme au profit de l’épure : le salon bourgeois du premier acte se réduit à une boîte rouge vif quasi expressionniste, le palais du prince Orlofsky est un vaste espace nu, avec un gribouillage coloré à l’arrière-plan et un micro-salon en forme de tente, la prison étant suggérée par d’énormes lampes suspendues aux cintres. Le jeu est délibérément caricatural, les déplacements du chœur sont toujours aussi habilement réglés, mais l’œuvre n’étant pas marquée par le mordant offenbachien qui sied tant à Laurent Pelly, on ne s’amuse pas autant ici qu’on le voudrait. La version française due au tandem Caurier-Leiser révisée par Agathe Mélinand fonctionne bien dans sa façon de faire coller le texte à la musique (malgré quelques e muets soudain accentués), mais la satire y reste limitée et ne permet pas au « système Pelly » de s’épanouir tout à fait.
 

© Simon Gosselin 

Musicalement, c’est une belle équipe francophone qui est réunie pour l’occasion. On retrouve quelques habitués des Offenbach/Pelly, comme Franck Leguérinel, aussi en verve qu’à l’accoutumée, et Christophe Gay. Julien Dran est un superbe Alfred, qui montre, après son incarnation du rôle-titre d’Orphée aux enfers à Lausanne, que cet univers musical lui convient décidément tout à fait. Remplaçant Charles Rice initialement prévu, Guillaume Andrieux est le baryton aigu que permet la partition, et il sait se rendre aussi ridicule qu’on l’exige de lui. Raphaël Brémard a peu à chanter en avocat, et le Léopold (Frosch en VO) d’Eddy Letexier est ici radicalement dégrisé, peut-être parce que l’on a estimé qu’il y avait déjà assez de personnages ivres autour de lui.
 

© Simon Gosselin

Du côté des dames, Héloïse Mas est un Orlofsky percutant, qui s’acquitte haut la main du zozotement qu’on lui impose. Marie-Eve Munger réussit la transformation d’une Adèle d’abord un peu Bécassine en aspirante actrice, mais l’on regrette une certaine acidité de l’aigu. Quant à Camille Schnoor, que l’on a pu applaudir ailleurs dans de grands rôles du répertoire, elle est bien le grand soprano nécessaire pour Rosalinde/Caroline : en outre, elle s’est parfaitement approprié la gestuelle et les mimiques pellyennes, et si la netteté de la diction se perd inévitablement dans les notes les plus hautes, on apprécie le soin qu’elle apporte au texte.
 

Johanna Malangré © David Kornfeld

Le chœur de l’Opéra de Lille se déchaîne au deuxième acte, après une entrée compromise par un décalage avec l’orchestre que n’a pu éviter Johanna Malangré, à la baguette souple mais souvent très rapide, et dont la direction donne à l’ouverture (et à la polka Unter Donner und Blitz, ajoutée entre les deux premiers actes) un côté plus symphonique que dansant.
Notez que le spectacle fera l’objet d’une retransmission sur grand écran dans divers lieux des Hauts-de-France le 13 juin. (2)
 
Laurent Bury

 

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(1)  www.concertclassic.com/article/le-songe-dune-nuit-dete-de-britten-lopera-de-lille-inoubliable-pyjama-party-compte-rendu
(2)  www.opera-lille.fr/spectacle/la-chauve-souris-live/
 
J. Strauss fils : La Chauve-Souris – Lille, Opéra, 4 juin ; prochaines représentations les 6, 9, 11, 13, 15 & 17 juin 2024 // www.opera-lille.fr/spectacle/la-chauve-souris/ Diffusion sur grand écran dans les Hauts-de-France le 13 juin
 
Photo © Simon Gosselin

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