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La Calisto à l’Opéra de Rennes – La tisane ou le verrou ? – Compte rendu

Que Jetske Mijnssen ait voulu transporter au XVIIIe siècle l’action de La Calisto, on peut le comprendre. Après tout, l’intrigue commence comme La Double Inconstance – un prince fait venir en son château une jeune paysanne sur laquelle il a des vues – puis expose les « infortunes de la vertu » et les « prospérités du vice ». Sauf que, dans le spectacle monté l’été dernier au festival d’Aix-en-Provence, le libertinage annoncé cède d’abord la place au marivaudage, et qu’il ne se passe pas grand-chose durant toute la première partie. On se croise, on se frôle dans ce palais à volonté, on y danse même, mais on se demande un peu quand ces dames et ces messieurs vont passer aux choses sérieuses (ou aux choses comiques, puisque même les personnages censés amuser deviennent un brin ennuyeux).

© Laurent Guizard
Un univers à la Fragonard
Si les charmants costumes pastel, habits à la française et robes à la polonaise, évoquent l’univers de Fragonard, on reste très loin du Verrou. Après l’entracte, on craint que cela continue dans la même veine : Junon sert le thé à ses visiteurs au lieu de donner libre cours à son indignation face à cette énième tromperie de son époux. Heureusement, les choses se corsent bientôt, Calisto est humiliée, Endymion est malmené, la soirée décolle enfin, et un coup de théâtre imprévu survient dans les dernières minutes.

© Laurent Guizard
Une direction vivante
Cette lenteur au démarrage est d’autant plus regrettable que, dans la fosse, Sébastien Daucé sait varier les climats, relancer le discours par des changements de couleurs et d’atmosphère. Les quinze instrumentistes de l’ensemble Correspondances rendent pleinement justice à la partition de Cavalli, sans surenchère inutile, dans l’espace presque intime de l’Opéra de Rennes, où ce type de musique s’épanouit sans peine. Quant à la distribution vocale, elle ne se distingue de celle d’Aix que pour deux rôles, l’un secondaire, l’autre essentiel.

© Laurent Guizard
Sur le registre de l’émotion
On retrouve la splendide Calisto de Lauranne Oliva, à qui décidément tout semble réussir. La jeune soprano a la fraîcheur du personnage, sa naïveté exquise, puis triomphe avec assurance lors de sa métamorphose finale. Si sa virtuosité est cette fois peu sollicitée, c’est le registre de l’émotion qu’elle exploite ici. De l’émotion, Anna Bonitatibus en a à revendre, et le monologue de Junon sur les épouses délaissées est un moment d’autant plus déchirant qu’il intervient aussitôt après sa terrible vengeance : la mezzo distille à merveille ces couplets, avec une économie de geste et de moyens qui force l’admiration. Qui mieux que Paul-Antoine Bénos-Djian pourrait rendre sensibles les émois et les tourments d’Endymion ? Le contre-ténor français paraît aujourd’hui sans rival dans l’art de traduire par sa voix chaleureuse tous les affects qui lui sont confiés. Giuseppina Bridelli est une superbe Diane, pleine de noblesse, tandis que Zachary Wilder évite toute caricature en Linfea, là où d’autres avant lui n’ont pas hésité à charger exagérément le trait. Dominic Sedgwick est un Mercure élégant, José Coca Loza possède les graves dont ont besoin les ensembles auxquels il participe le plus souvent, et le timbre de Théo Imart rappelle, en moins acide, celui de Dominique Visse, ce qui convient au Satirino.
Diane en voix de fausset
Les nouveaux venus sont Bastien Rimondi, dont on apprécie le chant délié en Pan, et surtout Milan Siljanov en Jupiter. Cette production choisit de lui faire également chanter Diane en voix de fausset, ce qui n’est pas toujours le cas, et le baryton-basse au large répertoire (de Mozart à Janáček en passant par Wagner) semble s’être parfaitement intégré au spectacle, jouant des ressources de son travestissement, mais avec des effets comiques jamais appuyés. Il reprendra d’ailleurs le rôle en mai prochain au Théâtre des Champs-Elysées.(1)
Laurent Bury

(1) www.theatrechampselysees.fr/saison-2025-2026/opera-mis-en-scene/la-calisto
Cavalli, La Calisto – Rennes, Opéra 8 octobre ; prochaines représentations les 9, 11 & 12 octobre 2025 // www.opera-rennes.fr/fr/evenement/la-calisto
Photo © Laurent Guizard
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