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La Bête et la Belle par le Ballet du Capitole de Toulouse - Délicat

C’est un conte, mais c’est surtout un rêve. D’emblée, une armoire occupe la scène : celle de Narnia ? En fait, ce n’est pas dans le fond que va disparaître l’héroïne, nouvelle Alice. Au contraire elle s’échappe de cette boîte magique où elle enferme tous ses fantasmes pour voguer dans un univers à fois initiatique et poétique. Kader Belarbi signe là une de ses plus jolies et plus fines réflexions chorégraphiques sur le monde onirique qui l’habite. En fait, son ballet, créé par les Grands Ballets canadiens de Montréal en 2005, retrouve ici de nouveaux habits, une nouvelle vie car le chorégraphe et directeur du Ballet du Capitole, qui n’est guère figé sur son travail, admet volontiers que tout doit évoluer, par le fait du temps et des interprètes.

Le Ballet du Capitole a donc ici à se mettre dans les chaussons une fable en demi-teintes, déroulée comme derrière un voile, malgré les péripéties parfois violentes qui la graduent. Sans doute parce que le choix de musiques de Ligeti, outre Daquin, Haydn et le délicieux Ma mère l’Oye, sur lequel s’ouvre le ballet, ne prédispose guère à l’enjouement. Grinçantes ou étales, elles enfoncent un peu dans un engourdissement délicat à manier, car même si Ligeti avec sa grisaille mélancolique, offre une couleur de fond raffinée à cette estampe onirique, il demeure difficile à habiter par le mouvement. John Neumeier, dans le Songe d’une Nuit d’été où il alternait Mendelssohn pour les humains, et Ligeti pour les elfes, eut une partie plus nette et plus scandée à jouer que cet enchevêtrement de couleurs sonores étranges.

Mais on ne se plaint pas, car tout se déroule avec une grâce pointue, une violence parfois qui montre des scènes agressives comme la tentative de viol de l’héroïne par une sorte de matador, et la ronde infernale de drôles de monstres sortis de Jérôme Bosch. On reprochera seulement une sorte de douce monotonie dans la première partie, tandis que la jeune héroïne découvre ce monde, sur lequel plane évidemment la Bête. En deuxième partie, l’action s’accélère, se dramatise, et l’altière confrérie de chasseurs et de piqueurs qui va traquer la Bête redonne de l’énergie à une attention délicieusement engourdie. On se doute qu’après ce rêve douloureux qui la voit s’attacher au monstre repoussant que son apparence torture, la belle va choisir la vérité de l’amour et de l’âme au lieu des codes dans lesquels elle a grandi.

La chorégraphie de Belarbi est souple, sensuelle, avec de tournoyants pas de deux qui mettent en valeur le talent des danseurs, une compagnie dans une forme superbe, dominée ici par la fine Julie Loria et le formidable Takafumi Watanabe, émouvante et inquiétante Bête. Quant aux scènes de genre, et à la caractérisation des personnages, il n’y renie pas ses sources: on retrouve, chez la Bête, trace de la bosse de Quasimodo, des mâchoires du Loup, tous deux de Roland Petit, dont Belarbi a gardé l’empreinte après les avoir incarnés. Avec moins de vulgarité que Petit, moins de force de frappe aussi. Pour les chasseurs, comment ne pas voir bondir dans leurs traces les couples aristocratiques mis en scène par Mats Ek dans Giselle. Le public, à la fois, découvre une patte incontestable et un héritage que la jeune génération ignore sans doute, et que le chorégraphe le revendique haut et fort. Qui s’en plaindrait, d’autant que le ballet porte la marque d’une décoratrice d’immense talent, disparue en août dernier, Valérie Berman, complice de Belarbi depuis longtemps. Il lui a dédié les représentations.

Jacqueline Thuilleux

Kader Belarbi, La Bête et la Belle - Toulouse, Théâtre du Capitole, octobre 2013, 29 octobre

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Photo : David Herrero
 

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