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Don Giovanni selon Robert Icke au Festival d’Aix-en-Provence 2025 – Sous perfusion – Compte-rendu

 
 
La 77ème édition du Festival d’Aix-en-Provence – en deuil de son directeur Pierre Audi depuis deux mois auquel un hommage vibrant a été rendu dimanche 6 juillet en milieu de journée – s’est ouverte sur un Don Giovanni obscur et cruel ; « dramma » assurément, mais pas vraiment « giocoso ». Une distribution, un orchestre et un chef, tous investis, ont tenté de pallier les égarements d’un propos scénique trop foisonnant et parfois déroutant.

 

Andrè Schuen ( Don Giovanni), Krzysztof Baczyk (Leporello) & Clive Bayley (le Commandeur) © Monika Rittershaus

Qui est mort ?
 
Décidément, les metteurs en scène aiment transformer le Grand Théâtre de Provence en établissement hospitalier. En 2017, Tcherniakov y avait installé sa Carmen en psychiatrie et cette année, l’Anglais Robert Icke y déroule l’agonie de Don Giovanni. Et comme par hasard, si les écrans annonçaient il y a huit ans que des scènes « pouvaient donner la sensation d’un danger réel mais faisaient partie du spectacle », vendredi soir, les mêmes écrans informaient que les haut-parleurs allaient diffuser une bande son puissante pouvant être gênante pour certaines personnes.
 
« Qui est mort, vous ou le vieil homme ? »… Sir Simon Rattle aime à rappeler les mots de Leporello, au début du premier récitatif de l’ouvrage. Alors qui est mort ? Là est la question… Car ici il semble que le Commandeur, en prologue, soit terrassé dans son fauteuil par une crise cardiaque, verre à la main, en écoutant un vinyle sur un vieil électrophone. A moins que ce ne soit Don Giovanni lui-même… Toujours est-il qu’à partir de là, l’agonie du libertin va nous être servie sans concession tout au long de l’ouvrage.

 

Andrè Schuen (Don Giovanni) & Madison Nonoa (Zerlina) © Monika Rittershaus

 
Pervers manipulateur

 
Un Don Giovanni submergé par ses pulsions, fantomatique dans son ample survêtement blanc qui se tâchera progressivement de sang, un pervers manipulateur sous perfusion, cathéter veineux posé sur le bras gauche, qui ira jusqu’à donner la sérénade sous les fenêtres d’une enfant, présence glaçante affirmant sans détour son penchant pédophile au rythme de battements cardiaques. Le tout dans l’environnement noir et impersonnel d’une sorte de vide sanitaire immense surmonté par trois boxes aux fonctions multiples: chambre de Donna Elvira, appartement de Don Giovanni, chambre d’hôpital où un vieillard finira sa vie. Est-ce le Commandeur vaincu par sa crise cardiaque ? Ou est-ce Don Giovanni au terme de sa longue descente aux enfers ? Robert Icke laisse la porte ouverte… Un indice, cependant, seule Donna Elvira se rendra auprès de la dépouille pour un ultime adieu !

 
Un propos qui se disperse et parfois se perd

 
Une chose est certaine, si vous attendez des palais vénitiens, des fiançailles bucoliques et juvéniles programmées chez Zerline et Masetto, un commandeur taillé dans le marbre, Leporello échangeant ses vêtements avec ceux de son maître, e tutti quanti, vous allez être déçus. Mais la qualité du travail de Robert Icke, il faut le reconnaître, est qu’il a choisi de construire le drame sans concession et brutalement et qu’il va au bout de son propos, non sans se disperser et parfois se perdre, nous perdant aussi et, semble-t-il, la salle itou puisque bronca il y a eu au soir de la première au moment de l’entrée de l’équipe scénique pour les saluts. 

 

Andrè Schuen (Don Giovanni) & Magdalena Kozena (Donna Elvira) © Monika Rittershaus

Andrè Schuen totalement investi
 
A la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio Bavaroise, Sir Simon Rattle, qui avoue adhérer totalement au propos de son jeune compatriote metteur en scène, fait une nouvelle fois preuve de génie au Festival d’Aix-en-Provence. Direction magistrale, lumineuse et engagée pour faire sonner idéalement chaque pupitre faisant parfois regretter le manque de lisibilité de l’action sur le plateau. Carence dont ne sont en rien responsables les solistes, l’Italien Andrè Schuen en tête, qui incarne ce Don Giovanni délirant voulu par Icke auquel on ne pourra pas reprocher une direction d’acteur en adéquation avec son propos. Andrè Schuen est totalement investi dans son rôle, physiquement, ce qui est une vraie performance au regard des exigences du metteur en scène, et vocalement. Une projection idéale au service de couleurs empreintes de folie et de délire.

 
Une Elvira souvent déchirante
 
Le Leporello de Krzysztof Baczyk est lui aussi sombre à souhait, belle projection et puissance maîtrisée, à la fois distant et en empathie avec Don Giovanni. La vision de Robert Icke l’éloigne de toute bouffonnerie pour en faire souvent le maître du jeu. L’Elvira de Magdalena Kozena incarne, sans nul doute, la présence la plus humaine du drame, déchirante souvent, alors que la Donna Anna de Golda Schultz peine quelque peu à affirmer son personnage dans ce puzzle sentimental même si vocalement elle séduit en livrant avec aisance ses airs principaux. Le Don Ottavio d’Amitai Pati reste en retrait malgré une agréable ligne de chant ce qui ne nuit pas au caractère de son personnage tout comme Clive Bayley (le Commandeur) relégué au rang des vivants par Icke, se maintient vocalement dans le rang, sans effets de graves et de puissance. Vocalement la Zerlina de Madison Nonoa est sensuelle et juvénile, mais sans éclat aux côtés d’un Masetto incarné avec aisance par Pawel Horodyski. Quant au Chœur de chambre philharmonique d’Estonie (dir. Aarne Talvik), il est totalement en place, maîtrisant chacune de ses interventions comme il en a la bonne habitude à Aix-en-Provence.
 
Michel Egéa
 

 

Mozart : Don Giovanni – 77e Festival d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 4 juillet ; prochaines représentations les 6, 8, 10, 12, 14, 15, & 18 juillet 2025 // festival-aix.com/programmation/opera/don-giovanni-0
 
© Monika Rittershaus

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