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Kristjan Järvi et le Baltic Sea Youth Philharmonic - Fièvre balte - Compte rendu

Un concentré, un sublimé d’énergie, et une salle en liesse, voici le panorama désormais traditionnel des concerts que dirige Kristjan Järvi, et plus encore quand il marie sa propre folie joyeuse à celle des 100  musiciens du Baltic Sea Youth Philharmonic, orchestre tout à fait à part par sa composante liée à la Baltique. L’histoire commence un peu comme une colle : combien de pays possèdent- ils un morceau de rivage de cette mer au nom un peu mystérieux tant elle ouvre d’horizons divers ? En fait, ils sont dix, et leur identité commune n’est pas à priori évidente, de l’Allemagne et de la Pologne à la Lituanie ou à l’Estonie, dont Järvi est originaire. Et pourtant, c’est vers ce front commun que le jeune chef a voulu se tourner en rassemblant de jeunes musiciens issus de ces dix pays, lui qui né à Tallin, a grandi aux Etats Unis où sa famille s’était exilée, et se perçoit en apparence comme un Américain. Tel Ulysse, il nous propose son voyage et nous emmène loin.
 

Kristjan Järvi © Franck Ferville
 
Que ce soit à Leipzig où il dirige le très traditionnel Orchestre Symphonique de la Radio, où avec son new-yorkais Absolute Ensemble, Järvi le jeune donne un coup de vif et de non conventionnel à tout ce qu’il touche. Sa baguette magique réveille les endormis : il se donne à la musique qu’il sent et  vit comme organique avec une frénésie qui laisse pantois, vrai diable qui sort de sa boîte. Il faut donc toujours s’attendre à des surprises avec lui, et le programme proposé aux Parisiens sur lequel s’achevait la tournée du Baltic Youth Orchestra, cassait tous les codes : une pièce par pays, enchaînées d’un jet, avec des basiques tels l’Ouverture des Créatures de Prométhée de Beethoven, un extrait de Karelia- suite de Sibelius, le Capriccio Espagnol, de Rimski-Korsakov, totalement déchaîné, ou encore, Estonie oblige, le méditatif Cantus in Memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt.
 
Mais aussi beaucoup de découvertes, ainsi Le Chant , écrit en 1921 par le Suédois Stenhammar, le très prenant Orawa, du Polonais Wojciech Kilar, qui culmine sur un grondement de l’orchestre, ou l’affolante Rock Symphony du Letton Imants Kalnins, un allegretto gradué en une montée progressive et scandée à la façon de John Adams, où l’on se disait que décidément Ravel a tout inventé avec son Boléro, tant cette pièce accrocheuse et râpeuse autant qu’irrésistible ramène à cette œuvre mythique. Avant d’attaquer en bis un Water Music revu et décalé façon rock et de se déchaîner sur la Danse des bouffons de Tchaïkovski.
 
La vie la plus intense soulève cette jolie troupe de jeunes gens où brillent nombre de filles à cheveux de lin, ou de longues algues brunes qui alternent au pupitre de premier violon. Orchestre mobile d’ailleurs, que Järvi abandonne parfois - dans les pièces modernes - et qui pousse de joyeux cris, ou des grognements rauques comme des enfants qui s’amusent à faire peur. On n’a pas eu peur du tout, on s’est réjouis d’une musique aussi véhémente, aussi sincère, même si quelques faiblesses du côté des cors, notamment, et des sonorités dont on dira aimablement qu’elles étaient un peu vives, rappelaient qu’il s’agit d’une formation occasionnelle. Le public est sorti en bonne santé. Que demander de mieux ?  
 
Jacqueline Thuilleux
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 31 mars 2015.
 
Nouveau CD avec l’Orchestre et Kristjan Järvi, Baltic Sea Voyage (Naïve)

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