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Jorge Luis Prats et l’Orchestre de Paris - Imagination et générosité - Compte-rendu

Généreux programme que celui des deux soirées Rachmaninoff que l’Orchestre de Paris vient de dédier à la mémoire d’Alexander Rachmaninoff, petit-fils du compositeur, disparu fin 2012 à l’âge de 80 ans. Le festin commence avec le Caprice bohémien op 12, une pièce jeunesse (1892-1894) que Paavo Järvi et ses troupes – en très belle forme ! – enlèvent avec lyrisme, nerf et chic. Avec humour aussi quand le maestro, pressentant que les applaudisseurs précoces vont se laisser piéger dans les dernières mesures du morceau, les dissuade d’un index levé et d’un sourire en coin.

Mais c’est évidemment le 3ème Concerto par Jorge Luis Prats (photo) qui est impatiemment attendu. « Beethoven ça ne se joue pas, ça se réinvente » : le pianiste cubain applique la maxime d’Anton Rubinstein à Rachmaninoff et signe un Opus 30 étonnant de liberté et d’imagination, mais remarquablement construit et équilibré. L’interprète n’épuise pas toutes ses forces dans le premier mouvement (d’autant qu’il est donné avec la grande cadence) et, passez-moi l’expression, en garde sous le pied pour l’Intermezzo et le Finale. La musique semble naître sous ses doigts, avec une palette de couleurs et une diversité des attaques époustouflantes. Pas un temps mort jusqu’au terme de l’Alla breve conclusif – il faut entendre Prats faire scintiller ce finale en exploitant le relief et la présence jamais écrasante de l’accompagnement de Järvi (l’entendre par exemple jouer, au sens propre du terme, avec les belles interventions des flûtes, hautbois et clarinettes dans la section poco mosso). Triomphe amplement mérité et festival de bis (Schubert/Strauss, Wagner/Liszt, Cervantes et, pour conclure, la Mazurka-glissando de Lecuona - elle ne rate pas son effet !) à l’image de la généreuse personnalité d’un artiste qui, depuis son retour à Paris et à Piano aux Jacobins en 2010, conquiert peu a peu le cœur du public français.

Il est l’heure d’une fin de concert “normal“, la soirée est pourtant loin d’être achevée car, après l’entracte, la Symphonie n°3 attend l’auditoire. L’ouvrage fut mal accueilli lors de sa création en 1936 mais, avec le recul du temps, il s’impose – à l’instar des Variations Corelli dans le domaine du piano – parmi les grandes réalisations symphoniques des années 1930. L’Orchestre de Paris n’avait joué cet ouvrage qu’une seule fois auparavant (en 1998 avec Paul Daniel). Järvi a mille fois raison d’y revenir, d’autant que sa conception fluide et fouillée, portée par une énergie très concentrée, lui rend totalement justice en soulignant la noblesse de son propos et une modernité dédaigneuse des trucs et des effets. Le temps pour les musiciens d’un hommage amical et fleuri à l’altiste Françoise Douchet-Le Bris, qui part à la retraite, et Paavo Järvi signe une belle et sobre Vocalise en bis.

Alain Cochard

Paris, Salle Pleyel, 27 mars 2013

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Photo : DR
 

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