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Johannes Moser joue William Walton à la Philharmonie de Berlin – De velours et de feu – Compte-rendu

Cela fait partie des bizarreries, voire des incohérences de la carte musicale, mais la France n’a jusqu’ici pas rendu justice au talent et à la personnalité hors normes de Johannes Moser, violoncelliste quadragénaire que trois orchestres européens et un américain ont choisi pour soliste en résidence cette saison : du Royal Scottish National Orchestra au Bournemouth Symphony Orchestra, de l’Oregon Symphony au Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, avec lequel on vient de l’entendre dans le Concerto de William Walton. Certes, nous avons nos petits génies, Edgar Moreau, Gautier Capuçon, Victor Julien-Laferrière, Yann Levionnois et bien d’autres, mais se priver de ce personnage atypique, dont le Festival de Verbier, à nos frontières, a déjà salué le coup d’archet ravageur, est un manque.  
 

© Sarah Wijzenbeek
 
Car semble-t-il, Moser ne fait rien comme tout le monde, notamment parce que sa respiration est musique et que l’ayant humée dès l’enfance, il se sent libre de la défricher comme bon lui semble. Normal, puisque le garçon, né d’un père violoncelliste, l’allemand Kai Moser, et d’une mère soprano à la carrière internationale, Edith Wiens, également professeur à la Juilliard school, a été biberonné à l’harmonie, sans parler des réunions de famille où sa tante, Edda Möser, illustre Donna Anna,  lançait peut-être les notes des Happy Birthday  – on peut rêver ! –, tandis que son frère Benjamin, lui, s’attachait au clavier, qu’il n’a plus quitté !
 
Et si Johannes dit combien le Concerto de Dvořák a joué un grand rôle dans sa vie, dès sa plus tendre enfance, il a su aussi s’ouvrir de vastes horizons pour se construire un nouveau monde musical, explorer, défricher, ce qu’admire son maître David Geringas. A lui, donc Dutilleux, Elgar, Lutoslawski, mais aussi la première, en janvier dernier, du Concerto d’Andrew Norman avec le San Francisco Symphony et bientôt celle de la Suite pour violoncelle, cordes et timbales, de Jonathan Leshnoff, avec le Bournemouth Symphony Orchestra.
 
Quant au Concerto pour violoncelle (1956) de William Walton, choisi pour ce concert berlinois, Moser extrait de cette œuvre intimiste, plus profonde que les deux autres concertos (pour violon et pour alto) du compositeur, une méditation tourmentée, parfois apaisée, toujours chantante, zébrée d’éclairs, et fait vibrer son magnifique Guarnerius avec une sorte de fièvre, un son large que l’on respire à pleins poumons. Puis, pour contenter un public enthousiaste, il va se joindre aux violoncellistes du Rundfunk-Sinfonieorchestrer Berlin, qu’il connaît bien puisqu’il est «  in focus » chez eux, pour déployer comme d’une seule voix, le Chant  des oiseaux de Pablo Casals. Un choix emblématique chez ce musicien curieux, et dévoré de l’envie d’ouvrir de nouvelles portes, de partir à l’assaut de territoires inconnus, cet infatigable virtuose, également professeur à la Hochschule de Cologne, et montagnard aguerri. Lorsqu’on le voit arriver, il y a un peu de vinyle sur sa tenue noire, un grand sourire carnassier, un rien d’impertinence, beaucoup de décontraction ironique qui lui donnent un air à la Donald Sutherland, mais son apparente légèreté ne recouvrent sans doute qu’un profond désir de dédramatiser l’instant et de mieux communiquer sa passion, servie, elle, avec une totale rigueur.

Ivan Repušić  © invanrepusic.com

 
L’entente avec le RSB, évidente, a permis d’en juger, tandis que l’on découvrait à la baguette le Croate Ivan Repušić, premier chef depuis l’an passé des Münchner Rundfunkorchesters, et familier de la Deutsche Oper et de la Kömische Oper de Berlin. Il avait choisi de mettre à l’honneur l’Istarka Suita de son compatriote Natko Devčić(1914-1997), datée de 1948 : une œuvre moins marquée de rythmes nationaux que chez son aîné Bartók par exemple, mais langoureuse et séduisante, passant d’une ambiance debussyste à des avancées pleines de vitalité, dignes de Chostakovitch. La musique d’un monde en pleine mutation artistique et politique. Pour finir, surprise, car les berlinois ne sont pas très familiers de ce répertoire, La Symphonie fantastique de notre Berlioz, dont le foisonnement instrumental n’a guère gêné le valeureux RSB, tandis que le style, l’inspiration tellement changeants, avec un délicat équilibre à trouver entre silence, attente, rêverie et déchaînements, n’étaient pas toujours atteints. De multiples répétitions sont sans doutes nécessaires pour pénétrer le climat si complexe d’une œuvre qui n’a de ronflant que ses cuivres et ses percussions, et demeure d’une troublante subtilité. Peu savent y parvenir.
 
Jacqueline Thuilleux

Berlin, Philharmonie, 7 avril 2019. Prochain concert de Johannes Moser, le 1er mai à Poole, avec le Symphonique de Bournemouth  (Haydn, Concerto en do majeur et création du Concerto  pour violoncelle de Jonathan Leshnoff// www.bsolive.com // www.johannes-moser.com/
 
A écouter : Concertos pour violoncelle de Witold Lutolawski et d’Henri Dutilleux, avec le Rundfunk-Sinfonieorchestrer Berlin, dir. Thomas Søndergård (Pentatone)
 
Photo © Manfred Esser - Haenssler Classik

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