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Iris de Pietro Mascagni au Festival Radio France Montpellier Occitanie – Une mémorable incarnation – Compte-rendu

Patron du Festival Radio France Montpellier Occitanie, Jean-Pierre Rousseau ne pouvait effectuer choix plus conforme à l’ADN découvreur de la manifestation qu’en programmant en point d’orgue de l’édition 2016 une version de concert du rare Iris de Pietro Mascagni (1863-1943). Après Parisina en 1999 - dont le disque garde une superbe trace (1) -, le Festival de Montpellier met en lumière l’autre chef-d’œuvre méconnu d’un auteur que la postérité réduit trop exclusivement hélas à Cavalleria rusticana (1890).
Exit le lyrisme furieux et l’esthétique du coup de couteau ! Iris (créé en 1898 à Rome) montre un tout autre visage de Mascagni, infiniment séduisant. Entre japonisme et symbolisme, le livret d’Illica est servi par une musique nuancée, suggestive - le shamisen fait même une apparition au I et ses sonorités inspirent parfois Mascagni dans son orchestration (ex. le traitement des harpes au début du « Apri la tua finestra ») -, très visuelle.

A ce propos, difficile de ne pas éprouver un brin de frustration lors d’une exécution en concert, eu égard au potentiel extraordinaire que la partition serait susceptible d’offrir à un metteur en scène et à un décorateur-vidéaste imaginatifs, à commencer par le « Un dì ero piccina » du II, envahi par l’érotisme de l’estampe « Le Rêve de la femme du pêcheur » d’Hokusai, sans oublier l’imbrication de l’action dans un spectacle de bunraku à l’acte I, ni bien évidemment la transfiguration de l’héroïne au III et le radieux hymne au soleil par lequel se referme l’ouvrage.

Photo @ David Ginot

Car si la fragile Iris, enlevée à son père aveugle par Kyoto à la demande du jeune et riche Osaka, se retrouve dans une maison de plaisirs d’Edo au II et termine même l’acte dans un égout, rejetée par son géniteur, Mascagni se garde bien de céder aux facilités « véristes » et ce sont bien la pureté et l’innocence de la jeune fille qui le guident de bout en bout.
Des traits de caractère que l’interprète se doit de traduire, tout en faisant face à une partie très exigeante. Il faut une voix pour Iris : Montpellier l’a trouvée en Sonia Yoncheva (photo) dont l’interprétation s’impose comme un modèle d’intelligence psychologique – et de classe. D’une beauté envoûtante, son soprano ambré saisit, sans une once de mièvrerie, toute la richesse d’un personnage singulier et attachant : le public de l'Opéra Berlioz est aux anges, ému par une incarnation intensément vécue.

Bonheur d’autant plus complet que le reste de la distribution s’avère sans faille : l'Italien Andrea Carè saisit avec finesse la complexité d’Osaka, entre pulsions libidineuses et esquisse de sentiments plus « vrais », tandis que son compatriote Gabriele Viviani campe un Kyoto d’une manipulatrice autorité et Nikolay Didenko un père très touchant. Dans des emplois plus modestes on remarque la Dhia très réussie de Paola Gardina et les marchands et chiffonniers de Marin Yonchev, Laurent Sérou et Karlis Rutentals. Ce dernier, ténor, provient du Chœur de la Radio Lettone (dir. Sigvards Klava), formation qui bénéficie du renfort du Chœur de l’Opéra national de Montpellier (dir. Noëlle Gény) : des forces alliées dont la présence et l’impeccable préparation ajoutent beaucoup à la réussite d’une soirée rondement menée par Domingo Hindoyan.
 

Domingo Hindoyan © David Ginot 

Encore peu connu en France le Vénézuélien, depuis trois ans assistant de Daniel Barenboim à la Staastoper de Berlin, se range parmi les révélations du Festival 2016. Autorité, souplesse, sens des couleurs, attention continue aux voix (ce qui n’est pas pour surprendre de la part ... du mari de Sonya Yoncheva !) : le jeune maestro sait là subtilement distiller, là enflammer les beautés de la partition - chacun aura pu le vérifier en direct sur France Musique (2). Espérons que Sony prendra vite la décision de publier la captation de cette soirée ; la discographie d’Iris est bien trop maigre pour se passer de la mémorable incarnation de Sonya Yoncheva.

Alain Cochard

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(1) Mascagni : Parisina ; Denia Mazzola, Vitali Taraschenko, Orchestre nat. de Montpellier Languedoc Roussillon, enr.1999 (2CD Actes Sud)
(2) Ecouter Iris en replay : www.francemusique.fr/player/resource/136479-173261#
 
Mascagni : Iris (version de concert) – Montpellier, Le Corume-Opéra Berlioz, 26 juillet 2016
 
Photo © David Ginot

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