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Iphigénie en Tauride selon Wajdi Mouawad à l’Opéra-Comique – Une héroïne est née – Compte rendu
Iphigénie en Tauride selon Wajdi Mouawad à l’Opéra-Comique – Une héroïne est née – Compte rendu

En assistant au concert-audition de Génération Opéra (1), il y a quelques semaines, nul n’aurait pu vraiment soupçonner de quoi était capable l’une des recrues de la promotion 2025 : même s’il permet à l’interprète du rôle-titre d’y déployer toute sa sensualité, le duo final du Couronnement de Poppée n’était en effet pas le plus apte à révéler tout le talent de la soprano Tamara Bounazou. En acceptant le personnage d’Iphigénie dans le chef-d’œuvre de Gluck, cette jeune artiste ne se montrerait-elle pas un peu téméraire ?
Tout y est !
Peut-être, mais elle a eu mille fois raison, et son incarnation révèle une interprète de grande qualité, tout à fait à la hauteur des exigences du rôle, et surtout une vraie personnalité comme on n’a pas si souvent l’occasion d’en découvrir sur une scène d’opéra. Projection, diction, ampleur de la voix et maîtrise de la tessiture, présence théâtrale : tout y est, l’héroïne est là sous nos yeux, sans qu’on ait besoin de consulter les surtitres pour comprendre son texte, sans qu’on doive tendre l’oreille pour l’entendre dans le grave. Cette Iphigénie est jeune, comme il se doit (depuis son sacrifice manqué, il ne s’est écoulé qu’une dizaine d’années), mais elle a l’autorité de ses fonctions de prêtresse, et elle émeut profondément dans sa détresse. Oui, vraiment, tout y est, le spectateur est comblé et en redemande.
> Voir l'interview vidéo à propos d'Iphigénie de Tamara Bounazou <

Tamara Bounazou (Iphigénie) © S. Brion
Retour au monde antique
Cette réussite tient aussi à l’entente qu’on peut supposer avoir été totale avec les deux principaux maîtres d’œuvre de cette production. Après un détour moins heureux par Pelléas, Wajdi Mouawad revient à ce monde antique qui lui réussit toujours et impose sa vision sobre d’une Méditerranée barbare, dans un décor monumental, sans accessoires inutiles, sans jamais trivialiser le mythe ni le priver de sa grandeur. Si le rappel initial des épisodes de la mythologie est sans doute utile pour plus d’un spectateur, on aurait pu se passer du prologue parlé qui relie la Tauride à la Crimée actuellement occupée, mais il n’est pas mauvais de rappeler que la barbarie n’a hélas pas d’âge.

Theo Hoffman (Oreste), les éléments © S. Brion
Prodigieuse lecture de Louis Langrée
Et comme ce prologue est introduit par une superlative interprétation de l’ouverture d’Iphigénie en Aulide, on ne s’en plaindra pas. Car si l’œil est à la fête, l’oreille ne l’est pas moins, avec la prodigieuse lecture de la partition que Louis Langrée propose à la tête du Consort. Chaque minute de musique est ici animée d’une vie, d’une vigueur et de mille intentions qui font réellement revivre Gluck, si longtemps resté engoncé dans la pesanteur indue d’une gangue marmoréenne. Une seule prière : qu’après l’Armide d’il y a quelques saisons, cette Iphigénie amorce un cycle dédié au compositeur, et qu’il soit toujours aussi admirablement servi.

Jean-Fernand Setti (Thoas), Tamara Bounazou (Iphigénie) et Jean-Philippe Talbot (Pylade) © S. Brion
Investissement théâtral
Bien sûr, il faut aussi saluer les autres artistes réunis pour l’occasion : le chœur Les éléments, irréprochable en prêtresses de Diane ou en sbires de Thoas ; le baryton américain Theo Hoffman, dont l’investissement théâtral laisse pantois, et qui n’a plus qu’à corriger quelques voyelles un peu trop ouvertes ou nasales pour tout à fait exceller en Oreste ; Philippe Talbot, qui retrouve ici un répertoire qui lui sied, et dont le naturel en Pylade s’avère désarmant ; Jean-Fernand Setti, qui restitue toute la brutalité du tyran d’Aulide ; Léontine Maridat-Zimmerlin, autre membre de la promotion 2025 de Génération Opéra, dont l’intervention en Diane ne passe pas inaperçue, sans oublier Fanny Soyer et Lysandre Châlon dans des rôles plus brefs.
Laurent Bury

Gluck : Iphigénie en Tauride – Paris, Opéra-Comique, 4 novembre ; prochaines représentations les 6, 8, 10 & 12 novembre, les trois dernières étant dirigées par Théotime Langlois de Swarte // www.opera-comique.com/fr/spectacles/iphigenie-en-tauride
Photo : Tamara Bounazou (Iphignénie) et Theo Hoffman (Oreste) © S. Brion
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