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Interview de René Martin, directeur artistique du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron – Fidélité et passion

Créé en 1981, le Festival International de piano de La Roque d’Anthéron souffle ses trente-six bougies. Une aventure hors du commun qui a fait d’un village provençal situé au pied du Lubéron un rendez-vous obligé pour tous les passionnés du clavier. A quelques jours de l’ouverture de cette manifestation, René Martin, son directeur artistique, en dévoile la programmation. Du classique au jazz, en passant par le baroque au clavecin, tous les goûts y trouvent leur bonheur.
 
Quels sont les grandes lignes de l’édition 2016 ?
 
René MARTIN : Je n’ai pas fondamentalement changé les orientations qui ont présidé au succès du Festival depuis ses origines, mais j’ai élargi les propositions tout au long de 70 concerts et de 3 Nuits du piano (qui seront consacrées à Mozart, Beethoven et Chopin). En dehors des lieux désormais bien connus dont le Parc du Château de Florans constitue l’épicentre, il y aura pour la première fois le 27 juillet un concert exceptionnel au Théâtre Silvain de Marseille ; un parc de verdure pouvant accueillir 2300 personnes où 8 pianistes se produiront sur 4 pianos. Si le répertoire classique demeure la clef de voûte, cette édition conjugue musique baroque et jazz dans un équilibre que je souhaite harmonieux alliant différents styles pour répondre à la demande d’un public éclectique. Bien sûr, je reste fidèle aux virtuoses internationaux qui ont contribué à faire du Festival ce qu’il est aujourd’hui. Les mélomanes ont le plus souvent une relation affective avec eux et les suivent toujours avec le même enthousiasme.
Sans les citer tous, on retrouvera dans le Parc de Florans Boris Berezovsky pour les Etudes d’exécution transcendante de Liszt, Denis Matsuev, François-Frédéric Guy autour d’un programme de sonates de Beethoven, Nelson Goerner  - qui m’a laissé dernièrement une impression inoubliable à La Grange de Meslay -, Nicholas Angelich, Nikolaï Lugansky, Christian Zacharias, Arcadi Volodos, ou encore Grigory Sokolov au Grand Théâtre de Provence d’Aix.
Bertrand Chamayou, invité de la soirée inaugurale du 36e Festival © Marco Borggreve
 
Plusieurs orchestres se partageront les concerts symphoniques, certains familiers des pins centenaires du Parc tels l’Ensemble Orchestral de Kanazawa dirigé par Michiyoshi Inoue, le Sinfonia Varsovia avec un chef ouzbek très prometteur, Aziz Shokhakimov, et l’Orchestre de chambre de Bâle. Nous accueillons aussi cette année l’Orchestre Philharmonique de Marseille avec Lawrence Foster à la baguette (en compagnie de David Kadouch) et en primeur l’excellent Orchestre symphonique d’Odense sous la conduite  d’Alexander Vedernikov. Quant à l’Orchestre national de Lyon, il ouvrira le Festival avec en soliste Bertrand Chamayou dans le Concerto n° 5 « Egyptien » de Saint-Saëns et le Concerto en sol de Ravel, accompagné par Andris Poga (22/07) ; un chef et un pianiste que j’apprécie particulièrement.
 
Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de pianistes ?
 
R.M. : Je suis toujours aussi attentif à l’éclosion de nouveaux talents. L’Ecole française brille tout particulièrement ; sans doute l’enseignement reçu y est pour quelque chose mais la personnalité si différente de chacun me fascine, que ce soit Lucas Debargue récent lauréat du Concours Tchaïkovski, Rémi Geniet, Antoine de Grolée, Tanguy de Williencourt, Gaspard Dehaene, et le très talentueux Philippe Hattat, que l’on découvrira dans un récital Chopin.
Jan Lisiecki © Mathias Botor

Parmi leurs aînés, j’éprouve aussi beaucoup d’admiration pour Jonas Vitaud, qui interprètera le cycle des Saisons de Tchaïkovsky, François Dumont ou Adam Laloum. Sans se limiter à l’Hexagone, des pianistes d’horizons différents occupent une place de premier plan. Parmi eux : Benjamin Grosvenor, Jan Lisiecki, Lukas Geniusas, Behzod Abduraimov… Outre Nathalia Milstein, Premier Prix du Concours de Dublin, et pour la première fois en France, le Russe Dmitry Masleev, Médaille d’or du dernier Concours Tchaïkovski de Moscou, le public aura la possibilité d’entendre également les deux finalistes du Concours Chopin de Varsovie 2015. Son vainqueur le Coréen Seong-Jin Cho, et le Second Prix le Canadien Charles Richard-Hamelin joueront chacun l’un des Concertos du compositeur polonais, ce qui permettra de se mettre dans des conditions analogues à celles de la finale du Concours.
 

jean rondeau
Jean Rondeau © Edouard Bressy
 
Quelle place assignez-vous à la musique baroque et aux instruments anciens ?
 
R.M. : L’Abbaye de Silvacane offre un écrin remarquable pour l’écoute du clavecin. Des instrumentistes de renom ont fréquenté ces lieux, comme par exemple Gustav Leonhardt, et cette édition ne dérogera pas à la règle. Se succèderont : Maude Gratton, Jean Rondeau, Pierre Hantaï, Justin Taylor, Céline Frisch. Quant aux Variations Goldberg de Bach, elles seront interprétées par Alexandre Tharaud mais sur un piano Steinway dans le Parc de Florans. On retrouvera Michel Bourcier à la tribune d’orgue de l’église Saint-Jean-de-Malte à Aix, Thomas Ospital à l’église Notre-Dame de Beaulieu à Cucuron. Dans un répertoire cette fois-ci romantique, le pianoforte sera défendu par Yury Martynov dans une étonnante transcription de la Cinquième Symphonie de Beethoven au temple protestant de Lourmarin. 
 
Quelle place tient le jazz au sein du Festival ?
 
R.M. : J’ai moi-même pratiqué le jazz ; il sera bien sûr présent à La Roque. Barbara Hendricks viendra chanter le 24 juillet accompagnée par son Blues Band constitué de musiciens formidables (le guitariste Max Schultz, le pianiste et organiste Mathias Altgotsson). Un spectacle associant son et lumière qui rendra hommage à Bessie Smith et à Billie Holiday. Barbara est une femme très intelligente qui a su adapter sa voix et sait toujours en tirer le meilleur parti.
La venue du Trio anglais GoGo Penguin dans les Carrières de Rognes avec le pianiste Chris Illingworth, le contrebassiste Nick Blacka et le batteur Rob Turner aura valeur d’événement ; ce sera un véritable choc musical. D’autre part, un habitué du Festival, Baptiste Trotignon, joindra son clavier aux percussions (celles de Minino Garay) au Château Bas Minet.
 
Abdel Rhaman El Bacha © Alix Laveau

Quel rôle joue tient votre label Mirare dans la promotion des artistes ?
 
R.M. : Mirare a une place tout à fait modeste et ne peut se comparer aux majors. Je pense avoir fait de bons choix, en particulier dans la reconnaissance d’un certain nombre d’artistes pour la plupart issus de l’Ecole française et qui se sont également fait connaître à l’étranger à travers La Folle Journée. Aujourd’hui, les ventes au Japon, en Allemagne, aux Pays-Bas représentent 70 % de notre chiffre d’affaires. L’enregistrement des 32 Sonates de Beethoven par Abdel Rahman El Bacha ou le début d’une intégrale Fauré par Jean-Claude Pennetier, les disques Mozart d’Anne Queffélec ou Bach de Claire-Marie Le Guay, ceux de Brigitte Engerer et du claveciniste Pierre Hantaï sont de véritables succès. Il y a en outre de la part de la presse musicale un véritable soutien. Dans un milieu réputé difficile, nos disques sont en général bien reçus et cela contribue à la réputation du label. Il existe un véritable dialogue avec des artistes qui ont toujours été au rendez-vous et avec lesquels se crée une relation de confiance.
 
Vous attachez une particulière importance à la formation de jeunes interprètes sous la forme d’ensembles en résidence. Comment se déroulent les sessions ?
 
R.M. : Depuis vingt-cinq ans, je fais venir chaque année à La Roque d’Anthéron l’élite de la jeune génération qui reçoit, à travers des master-classes, des conseils d’interprétation donnés par les meilleurs professeurs, tels les pianistes Claire Désert, Christian Ivaldi, Emmanuel Strosser, le violoniste Olivier Charlier, l’altiste Lise Berthaud, le violoncelliste Yovan Markovitch, le Trio Wanderer.
 
Du 8 au 14 août, dans le Parc du Château de Florans, le public pourra juger le travail réalisé, et le 15 août, dans le village de La Roque d’Anthéron, les étudiants donneront le meilleur de l’enseignement qu’ils ont reçu. Nombreux sont les artistes aujourd’hui reconnus qui ont, durant toutes ces années, fréquenté ces stages. Le Festival prendra à nouveau avec les stagiaires la route de la Durance aux Alpilles pour irriguer musicalement pendant une dizaine de jours le département des Bouches-du-Rhône, l’un de nos partenaires. Par ce biais, il s’agit de toucher une population qui a rarement l’occasion de se rendre au concert ; cette opération a une portée sociale et culturelle tout à fait bénéfique à laquelle je suis très attaché, comme Jean-Pierre Onoratini, le Président du Festival, et les élus de la Région.
 
Propos recueillis par Michel Le Naour, le 13 juillet 2016

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36e Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron
Du 22 juillet au 18 août 2016
www.festival-piano.com

Photo René Martin © DR

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