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Inauguration du Festival Un Temps pour Elles 2025 (Abbaye de Maubuisson) – Colombine ouvre la danse – Compte-rendu

C’est parti pour la 5e édition du festival Un Temps pour Elles ! D'ici au 6 juillet, il fera étape en divers lieux du Val d’Oise pour interpréter quantité de compositrices, de l’époque baroque à la création contemporaine. À l’Abbaye de Maubuisson, le programme inaugural s’intitule « Colombine ou les mélodies rebelles », constitué de croisements entre musique et textes (des vers signés Marie de Régnier, Colette, Anna de Noailles, Vita Sackville-West, Renée Vivien ou Lucie Delarue-Mardrus). Cette subtile mosaïque, mûrement pensée et agencée, s’offre à l’auditeur avec autant de fluidité que de variété. « Colombine, ici, est-il précisé, n’est plus objet de regard : elle regarde à son tour, elle danse, elle pense, elle rêve – elle compose. »
Retour à Charlotte Sohy
Ceux qui suivent l’aventure de la Cité des Compositrices et de son label La Boîte à Pépites depuis l’origine retrouvent avec bonheur en ouverture de concert l’Enchantement matinal initial du Triptyque champêtre de Charlotte Sohy, cette fois servi par Clémence de Forceville (violon), Violaine Despeyroux (alto), Héloïse Luzzati (violoncelle), Constance Luzzati (harpe), sans oublier, évidemment, la soleilleuse flûte d’Anastasie Lefebvre de Rieux. On se souvient que c’est avec cette magnifique compositrice que commença, au disque, l’aventure de l’association créée par Héloïse Luzzati ...(1) Plus loin, suivront les deux autres volets de l’Opus 25 (Au fil de l’eau et Danse au crépuscule), respirations instrumentales (auxquelles s’ajoutera l’Andante du trio Arlequin et Colombine de Rita Strohl – originellement avec clarinette – dans une adaptation pour alto, violoncelle et piano) au cours d’un programme de mélodies, dont certaines, pour voix et piano, ont fait l’objet d’un arrangement pour petit ensemble par Godeleine Catelan.
Indispensable Ethel Smyth
Bonheur aussi de retrouver Marielou Jacquard (photo (2)), que l’on avait tant appréciée le 19 mai dernier aux Bouffes du Nord lors du concert anniversaire d’Un Temps pour Elles. (3) La figure d’Ethel Smyth (1858-1944) était idéale pour donner un visage à une Colombine revendiquant son droit de composer, et d’aimer qui lui plaît ! À Maubuisson, la mezzo reprend les Four Songs avec non moins d’engagement et de sensualité qu’aux Bouffes (ouvrage singulier que ce recueil sur des poèmes en français, avec accompagnement de flûte, violon, alto, violoncelle, harpe et petite percussion – Rodolphe Thery est de nouveau à l’œuvre pour une partie aussi discrète qu’essentielle). Chez Smyth, comme dans toutes les autres mélodies (et dans les passages parlés du spectacle), la chanteuse se distingue par une diction très claire, une approche aussi vivante que naturelle.
Hymne à la nuit
De la luminosité de Pannyre aux talons d’or de la Suisse Marguerite Roesgen-Champion ou de la tendre et entêtante Valse amoureuse d’Amy Beach à la saphique lascivité de la Chrysilla de Smyth, des yeux pervers de la Colombine d’Henriette Puig-Roget à l’urgence avec laquelle Poldowski (1879-1932 ; fille du violoniste-compositeur Henryk Wieniawski) traite la Colombine de Verlaine, la justesse de caractère de l’interprète et de ses partenaires instrumentistes force l’admiration. On est d’un bout à l’autre sous le charme d’un programme – donné d’une seule traite – d’une homogénéité parfaite. Il convient toutefois de mettre l’accent sur sa section nocturne, avec – introduite par des vers de Vita Sackeville-West – The Cypress Curtain of the Night, exceptionnelle page, prenante et mystérieuse (avec son accompagnement de flûte dans le grave et de harpe), tirée des Songs of Sleep de la Galloise Grace Williams (1906-1977), suivie de Claire nuit efface-toi de Marcelle de Manziarly et de l’onirique A la lune de M. Roesguen-Champion, sur laquelle la harpe de Constance Luzzati disperse ses étoiles d’or.
Une bouffée d’air frais
Et « Colombine ou les mélodies rebelles » de se conclure par la furieuse ivresse de l’Ode anacréontique de Smyth, comme pour mieux donner son élan au 5e festival Un Temps pour Elles où bien des découvertes attendent les auditeurs : autour de la figure de Misia Sert (Luzarches, 14 juin, avec Julie Depardieu, Juliette Hurel et Hélène Couvert), de compositrices à l’aube des Lumières (Jouy-le-Moutier, 15 juin, avec Sophie de Bardonnèche et Justain Taylor), de la Norvégienne Agathe Backer-Grøndahl (22 juin, Château de la Roche-Guyon, avec Karen Vourc’h et Anne Le Bozec, en écho à un enregistrement remarqué sorti en il y a quelques mois chez Aparté).
On se laissera tenter aussi par les quintettes à cordes de Louis Farrenc et Luise Adolpha Le Beau (28 juin, Château de Vigny, avec le Quatuor Hanson et Héloïse Luzzati), par le programme « Préhistophonia » de l’Ensemble Calliopée (29 juin, L’Isle Adam) et, enfin, par le rituel bouquet final au Domaine de Villarceaux (5 et 6 juillet), partagé entre « Soirs d’hivers » et « Nuits d’été » avec la mezzo Fiona McGown, entourée de Manon Galy, Raphaëlle Moreau, Léa Hennino, Héloïse Luzzati, Célia Oneto Bensaid et David Kadouch. Autant dire des fidèles d’une manifestation qui, par sa curiosité avisée et son exigence, apporte une grande bouffée d’air frais et d'inattendu dans le paysage festivalier.
Alain Cochard

(1) www.concertclassic.com/article/charlotte-sohy-compositrice-de-la-belle-epoque-jardin-secret
(2) Rappelons que Marielou Jacquard forme avec d’Anastasie Lefebvre de Rieux et Constance Luzzati le Trio Haydée, dont le premier enregistrement ( « Ciels d’or », Voces8 Records) paru en fin d’année passée a retenu l’attention : www.concertclassic.com/article/ciels-dor-par-le-trio-haydee-elles-composent-elles-transcrivent-elles-interpretent-compte
(3) www.concertclassic.com/article/les-chants-de-la-terre-concert-anniversaire-du-festival-un-temps-pour-elles-aux-bouffes-du
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