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Il Trittico selon Christof Loy à l’Opéra Bastille – Du rire aux larmes – Compte rendu

Il aura fallu patienter presque trente ans pour entendre le trop rare Trittico de Puccini à Paris. La production confiée à l’époque à Jean-Louis Martinoty et jouée Salle Favart, laisse enfin la place à un spectacle imposant conçu avec le Festival de Salzbourg où il a été créé en 2022. Christof Loy, que l’on a connu plus aventureux dans ses relectures, joue cette fois la carte de la fidélité, ne modernisant son propos que par le recours discret à un vestiaire tiré des années quarante (Barbara Drosihn). Si l’ordre des pièces est différent de celui choisi par l’auteur qui concluait sur une note joyeuse avec la farce Gianni Schicchi, Loy préfère terminer sur le drame avec en point d’orgue la mort de Suor Angelica.

Gianni Schicchi © Guergana Damianova
Une direction d’acteur très précise
Difficile de trouver un dénominateur commun à ces trois parties dont les décors réalistes, une immense chambre vide où trône un lit pour Schicchi, une péniche amarrée et son quai animé pour Il Tabarro et enfin une froide salle-préau pour le couvent de Suor Angelica, privilégient les couleurs neutres et les éclairages feutrés. La direction d’acteur, très précise, alterne quant à elle des moments d’une extrême agitation parfaitement réglés, façon comédie italienne (Schicchi), avec des scènes intimistes inspirées des films noirs à la Carné (Il Tabarro), qui conduisent tout naturellement le spectateur vers une conclusion dramatique en forme d’apothéose (Suor Angelica).

Carlo Rizzi © Tessa Traeger
Geste, tenue et flamme

Il Tabarro © Guergana Damianova
L’atout d’une distribution identique à celle de Salzbourg
Le fait que la distribution soit identique à celle de Salzbourg est évidemment l’un des points forts de cette représentation. Misha Kiria est un Gianni Schicchi plus vrai que nature, exubérant tant sur le plan physique que vocal. Il a le sens de la scène et occupe le plateau de toute sa corpulence, son baryton généreux se projetant avec vigueur dans la salle. A ses côté Enkelejda Shkoza (Zita) se débat avec ardeur pour défendre sa part d’héritage entourée d’une galerie de personnages campés avec malice, tandis que le jeune couple Lauretta/Rinuccio tente d’éclore : Asmik Grigorian se fait légère, tout en soulignant avec une belle intensité la détresse contenue dans le célèbre « Babbino caro », le timbre d’Alexey Neklyudov étant bien mince pour se déployer aisément dans pareil vaisseau.
Les thèmes abordés dans Il Tabarro, misère sociale et affective, conflits familiaux, honneur, sont ici parfaitement restitués par des interprètes impressionnants de naturel et de réalisme. Le mari, Roman Burdenko (Michele), la femme, Asmik Grigorian (Giorgietta) et l’amant, Joshua Guerrero (Luigi) sont intenses et touchants, dotés de voix larges et expressives qui forment un trio impossible aux aspirations irréconciliables.

Suor Angelica © Guergana Damianova
Paroxysme vocal et ... torrent d’applaudissements !
Soprano que rien n’arrête, polymorphe et sans limites, Asmik Grigorian était très attendue dans le rôle-titre de Suor Angelica, la fille-mère maudite et déshonorée, placée au couvent pour étouffer le scandale. Sage et presque effacée au milieu d’une myriade de sœurs et d’abbesses envahissantes, la cantatrice à la douce voix sort progressivement de sa réserve pour atteindre un paroxysme vocal au moment de son suicide.
En plus d’absorber des plantes toxiques, l’héroïne transfigurée se crève les yeux après être redevenue l’espace d’un instant, femme (elle quitte son uniforme pour enfiler à la hâte une robe de soirée, des talons hauts et prend le temps de fumer une cigarette) et d’imaginer dans un ultime délire serrer son enfant dans ses bras. Ne cherchant pas à s’économiser la chanteuse atteint dans ce dernier sursaut un point culminant accueilli par un torrent d’applaudissements mérités …
Autour de cette grande artiste, Enkelejda Shkoza et Theresa Kronthaler, de magnifiques choristes, la vétérante Hanna Schwarz qui déclame noblement les quelques phrases de la Badessa et Karita Mattila qui endosse avec classe une Zia Principessa autoritaire, plus parlée que chantée, mais théâtralement puissante lors de sa confrontation à Suor Angelica.
Une production qui manquait à l’institution parisienne.
François Lesueur

> Les prochains concerts "Puccini" <
(1) qui succède à Franz Welser-Möst, à la direction lors des représentations salzbourgeoises en 2022.
Puccini : Il Trittico – Paris, Opéra Bastille, 29 mars ; prochaines représentations 2, 6, 9, 13, 16, 19, 22, 25 & 28 mai 2025 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/il-trittico
Photo © Guergana Damianova
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