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Franco Fagioli en récital à Gaveau - Un tempérament opératique - Compte-rendu

Né à San Miguel de Tucuman, aux confins de l'Argentine, le contre-ténor Franco Fagioli aura connu en 2012 une année faste. Vedette, avec Philippe Jaroussky et Max Emanuel Cencic, de l'Artaserse du Napolitain Vinci, l'opéra seria aux 5 contre-ténors (Virgin en a publié l'enregistrement à l'automne dernier), il se produisait à Gaveau devant un public acquis d'avance à ses prouesses vocales.

A cet égard, la vogue des contre-ténors, en phase, d'une certaine façon, avec la légende des castrats, ces «voix du ciel» chères au Baroque, est au cœur de l' actualité, un phénomène musicologique qui avive les passions et oppose en joutes farouches fans et détracteurs du genre. Dans ce débat, le cas de l'Argentin est, si j'ose dire, emblématique, porté par une déferlante du succès qui connaîtra une suite en février prochain avec le Polifemo de l'autre Napolitain Porpora, où il sera Acis. Pour autant, l'auditeur et le critique doivent garder la tête froide, car la voix, d'une mobilité incroyable, transporte et irrite tout à la fois, partagée entre élans séduisants et rudesses inopinées.

Tel quel, un tempérament opératique hors normes s'active ici ; sans doute plus attentif aux audaces de vocalises funambules qu'au pouvoir dramatique des mots et affetti pris pour eux-mêmes. Avec une première partie de récital à Gaveau qui saluait les fondateurs d'un art nouveau, ceux qui scellèrent, à l'aube du XVIIème siècle, l'union de l'armonia et de l'oratione par le biais du recitar cantando, ce «parler en musique» imité du rythme naturel de la parole et, à ce titre, précurseur du drame lyrique ou opéra...

Pour autant, les pièces empruntées à Frescobaldi, Monteverdi et Benedetto Ferrari, disciple très inventif du Crémonais, ne m'ont pas semblé avoir trouvé en Fagioli un avocat inoubliable, l'interprète y étant comme obsédé par le souci du répertoire du siècle suivant, en quête de prouesses belcantistes qui ne s'épanouiront précisément qu'au Settecento. Reste, en guise de compensation, l'incroyable savoir-faire technique déployé dans Haendel et Vivaldi, ces gloires du répertoire seria au Siècle des Lumières. Là, la virtuosité ailée de Fagioli impressionne vraiment, même si elle n'est pas exempte de maniérisme, preuve qu'un rare talent s'exprime ici, qui, au prix d'un peu plus de sobriété dans le dire, a tous les atouts pour jouer les stars dans le réveil lyrique des siècles passés. Et l'on n'omettra pas la part de rêve apportée par un instrumentarium très motivé (le violoncelle de Marco Frezzato, le clavecin de Jeremy Joseph et l'archiluth de Luca Pianca).

Roger Tellart

Paris, Salle Gaveau, 10 janvier 2013

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Photo : DR
 

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