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Francendanse au Théâtre des Champs-Elysées – Etincelles avant l’extinction des feux – Compte-rendu

Un étonnant feu d’artifice, grâce à la volonté de la productrice Vony Sarfati, qui a réussi, peu avant que la barrière du couvre feu ne vienne étouffer l’horizon culturel, à offrir au public parisien ce morceau de carte de France dansante, avec un florilège de belles performances produites en étendard par quelques-unes des meilleures compagnies de l’hexagone. On sait la danse classique fragilisée, surtout depuis que l’Opéra de Paris en porte difficilement le flambeau, faute de scène, on sait que les compagnies qui se battent pour la garder luttent durement comme l’Opéra de Nice, on sait qu’elle évolue de plus en plus vers la danse contemporaine, tellement moins exigeante techniquement et plus facilement « vendable » pour la jeunesse. Pourtant, cette brassée de danseurs flamboyants, si heureux de se retrouver sur les planches parisiennes et de montrer qu’ils existent a été un bol d’oxygène dans un panorama morose, voire angoissant.
 
Pas de palme, donc, juste une heureuse variété de styles, qui montre que si les interprètes viennent d’horizons différents et donc affichent des genres et des techniques contrastés, les courageux chorégraphes qui veillent sur l’héritage et parviennent à l’enrichir ont réussir à unifier cette pluralité en un seul idéal, celui d’une beauté riche de sens, même si elle n’est pas provocatrice. On a d’ailleurs remarqué avec bonheur que les chorégraphies présentées étaient le fait d’artistes vivants, à l’exception, pour le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, de l’extrait de Flammes de Paris, daté de 1932, que l’on doit à Vassili Vainonen, fleuron d’un style soviétique qui rendait  ici brillamment hommage au génie français. On connaît moins les danseurs bordelais que ceux de Biarritz, souvent présents à Paris, par exemple, et on a découvert avec plaisir les jolis fouettés de Marini Da Silva Vianna et la belle élévation de Riku Ota, cornaqués par Eric Quilleré, ancien de l’Opéra de Paris et à ce jour directeur de la danse à Bordeaux.
 
On a aussi beaucoup apprécié l’intensité de la chorégraphie de Jan Martens, Period Piece, dansé en solo par une danseuse hors normes, Kristina Bentz, l’une des perles du Ballet de l’Opéra de Lyon, qui, sur la musique de Gorecki, montait vers une transe envoûtante. De Lyon, on attend d’ailleurs avec intérêt les lendemains à venir, depuis qu’une nouvelle directrice, Julie Guibert, a remplacé Yorgos Loukos, et qu’on la sait très attirée par la danse contemporaine. Mais là, avec ce choix habilement adapté à l’esprit de la soirée, les craintes étaient dissipées.

Le Corsaire ( Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón ) ©Théâtre du Capitole de Toulouse

 
Cadeau aussi sous forme d’avant première, un très prenant pas de deux chorégraphié par Kader Belarbi sur la musique de Bruno Coulais, pour son Toulouse Lautrec, une grande fresque  prévue pour le Ballet du Capitole toulousain au printemps dernier, et reportée au 4 novembre prochain donc, en plein couvre-feu (mais heureusement avec des horaires adaptés) ! Lautrec, peintre maudit, Belarbi, chorégraphe heureux jusqu’à ce coup de pied de l’histoire. On attend avec impatience l’intégralité du ballet, dont cet extrait a donné une idée de la puissance et de la couleur, grâce à la présence de deux artistes d’exception, Natalia de Froberville et Ramiro Gómez Samón, qui ont par ailleurs clos la soirée sur un éblouissant pas de deux du Corsaire, dans la grande lignée des sommets de la virtuosité classique. Un plaisir qu’on a savouré sans modération.
 

Mozart à deux © Olivier Houeix
 
Aux antipodes, un des chefs-d’œuvre de Thierry Malandain, ce Mozart à deux, l’une de ses pièces les plus cruelles, les plus tragiques, ou mine de rien, comme la musique de Mozart, il explore sans concessions les états amoureux de quelques couples, de la douleur au conflit et à l’harmonie. Trois sur les six que comporte la pièce étaient ici présentés. Un moment de grande tension, presque douloureux, comme fréquemment avec Mozart, où la grâce de la musique ne faisait qu’accentuer l’intelligence du chorégraphe et où brillait particulièrement l’excellent Mickael Conte, avec cinq subtils comparses du Malandain Ballet Biarritz, rompus aux finesses de Malandain, souvent oniriques, ici plus charnelles.
 
Cerise sur le gâteau, Vony Sarfati avait obtenu de l’Opéra de Paris que les Trois Gnossiennes de Satie, présentées dans le cadre du spectacle actuel de Garnier (1), ouvrent en délicatesse ce spectacle jubilatoire. Chic, décalage, nonchalance étudiée, cette friandise de Van Manen, d’une feinte monotonie, qui faisait contraster délicieusement la stature apollinienne de Hugo Marchand (photo) et les jambes délicates de Ludmila Pagliero (photo), véritable sylphide, a su arracher le public à sa grisaille, d’un clic féerique. Un moment de rêve … Inespéré.
 
Jacqueline Thuilleux

 
(1) www.concertclassic.com/article/etoiles-de-lopera-au-palais-garnier-lecons-de-clarte-compte-rendu
 
 
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 15 octobre 2020 //
 
Toulouse-Lautrec, création de Kader Belarbi, Musique de Bruno Coulais, les 4, 5, 6 & 7 novembre 2020, Théâtre du Capitole, Toulouse / bit.ly/3o6jR0E
 
Photo © Svetlana Loboff - OnP

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