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Etoiles de l’Opéra au Palais Garnier – Leçons de clarté – Compte-rendu

 Déserté depuis de longs mois, le Palais Garnier comme un grand mausolée : tristes lumières, visages masqués, devenus anonymes, et qui ne se sourient plus, silhouettes distanciées dans un lourd silence. Comme un grand bal funèbre dans un palais peuplé de fantômes, jadis éblouissant, et sur le plateau, une méchante toile qui coupe l’espace et n’en laisse libre que l’avant-scène, pour une sorte de ballet de chambre. Bref, tout se resserre, les lieux et les âmes.
 
Et puis, comme un rayon de lune dans une nuit noire, se détache soudain  l’apesanteur d’un humain au meilleur du tracé du peintre, porté par une douce brise intérieure, flottant sur les herbes, la silhouette irréelle de Mathieu Ganio, comme nimbé d’une éternelle jeunesse, tandis que les notes du Clair de lune de Debussy joué comme une tendre respiration par Elena Bonnay, à partir d’un piano niché comme il peut à côté des premiers rangs, s’évanouissent au fil des mouvements du danseur, lancés souplement comme une esquisse. On respire, on se détend, on regarde les « étoiles ». Une soirée enchanteresse commence avec cette pièce délicate d’Alastair Marriott, que Ganio dansa en 2017 au Coliseum de Londres.
 

Mathieu Ganio © Svetlana Loboff - OnP

Il était temps : temps de cesser de dire que Dorothée Gilbert n’est pas Sylvie Guillem, que Hugo Marchand n’est pas Nijinsky, que Myriam Ould-Braham n’est pas Violette Verdy, que Vincent Chaillet n’est pas Cyril Atanassof, et que Léonore Baulac n’est pas Monique Loudières, en continuant à l’infini la litanie des regrets. Il était temps de se remettre à admirer, à aimer l’engagement, les développés superbes, les portés grandioses, les cou-de-pied encore plus travaillés, la solidité des adages, le déployé des arabesques, même si de nouveaux styles sont passés sur les jeunes danseurs, et les ont habitués à chercher d’autres sources d’expression. Autres quêtes du corps sans doute, manque de chorégraphes surtout : qu’on imagine un Mats Ek s’emparant de Hugo Marchand, jugé souvent  inexpressif, comme il le fit pour le jeune Nicolas Le Riche dans sa Giselle, et le résultat serait sans doute percutant. Il était temps enfin de découvrir que les jeunes danseurs qui paraissent dans ce florilège de soli et de pas de deux, qui redonnent vie à la scène de l’Opéra, et à eux-mêmes, n’ont rien perdu de leur virtuosité et que même sans doute, la souffrance d’être privés de leur arène, de leur public, leur a donné ce supplément d’âme qui leur manquait peut-être.
 
Oubliées donc pour une heure et demie de pur bonheur, les grèves, les récriminations, les peurs, et cette poignée d’étoiles s’est retrouvée face à ce qui la rend si nécessaire, son impalpable désir d’ailleurs, d’habiter l’espace , d’alléger les souffrances en les portant mieux que personne, de laisser les rêves s’épanouir avec de simples corps humains : les Trois Gnossiennnes de Satie-Hans van Manen ont montré en toute nonchalance la délicatesse de Ludmilla Pagliero, l’allure désinvolte de Hugo Marchand, capable de se figer aussi en une figure de vase grec. Lamentation, dansé par la très intense Emilie Cozette, dans le drapé élastique qui fit depuis 1930, la célébrité de cette pièce ultra célèbre de Martha Graham, a dégagé tout son potentiel de douleur à l’antique. Herman Schmerman de Forsythe, a ébloui par la vigueur provocante de Hannah O’Neill et de Vincent Chaillet, secs comme les coups de bâton d’un maître de ballet. Puis, presque incongrue à force d’avoir marqué les parcours de ballerines de temps lointains, la Mort du Cygne de Fokine, dansée par Ludmila Pagliero, dont les jambes fines comme des calames semblaient marcher sur l’eau, tandis que ses bras ailés battaient l’air désespérément.
 
Suite of Dances, sorte de chant du Cygne d’un Robbins proche de sa fin et passionné des Suites de Bach, montrait ensuite combien le spectaculaire Hugo Marchand pouvait se faire aérien, vif, jubilatoire, musical, tandis que le violoncelle d’Ophélie Gaillard lui donnait le la. Pièce créée pour la nonchalance géniale de Barychnikov, et souvent vue à l’Opéra, elle remettait à leur place les morceaux d’un puzzle détraqué par les angoisses contemporaines.  
Enfin, grand drame, grandes envolées, grand lyrisme, grands volants pour un pas de deux tiré de la Dame aux Camélias, de Neumeier, où la longue Laura Hecquet et le poétique Mathieu Ganio faisaient voler en éclats des mois de grisaille.
 
Programme composé avec subtilité, il faut le souligner, car plus qu’une succession de numéros, danger de ces soirées-mosaïques, il faisait mieux que comparer des styles : il les reliait et créait un climat, une chaîne. Plus que bravo, le public a su dire merci à ces artistes, qu’on va pouvoir retrouver avec leurs camarades dans un tout autre registre, les ballets touffus autant qu’académiques créés par Noureev pour l’Opéra, dont plusieurs pas de deux et soli seront présentés tout octobre. Volutes et virevoltes à prévoir…
 
Jacqueline Thuilleux

Palais Garnier, Etoiles de l’Opéra, le 5 octobre ; prochaines représentations les 7, 9, 13, 14, 19, 20, 23, 27, 29 octobre 2020. Hommage à Rudolf Noureev, les 8, 12, 15, 16, 21, 22, 26, 28, 30 octobre 2020 // www.operadeparis.fr     
 
 
Photo ( Laura Hecquet et Mathieu Ganio ) © Svelana Loboff - OnP

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