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Festival International George Enesco de Bucarest - Montée en puissance - Compte-rendu

Tous les deux ans à la fin de l’été, Bucarest vit en musique un mois durant grâce à deux manifestations d’envergure internationale : le Concours et le Festival George Enesco dont la réputation a largement dépassé les frontières de la Roumanie. Le Concours fête son XXe anniversaire et associe depuis cette année au violon, au piano et à la composition une épreuve de violoncelle. Le Festival Enesco propose pour sa part une impressionnante série de 125 concerts à spectre très large, accueillant les plus grands orchestres et solistes du moment et mettant l’accent sur le répertoire contemporain et sur l’œuvre du compositeur George Enesco (1881-1955), véritable héros national qui a tissé des liens indéfectibles entre la France – où il est décédé – et son pays d’origine.

Relative déception en ce qui concerne le Concours de violon et de piano malgré l’afflux de nombreux candidats venus du monde entier. Le jury de piano (dans lequel figuraient entre autres Danielle Laval, Akiko Ebi, Dan Grigore, Valentin Gheorghiu) n’a accordé qu’un Second Prix au Coréen Jeung Beum Sohn (20 ans). Lors du concert de gala (11/09) dans la salle de la Société roumaine de radiodiffusion, son jeu ne convainc guère (Etude n°12, op 8 de Scriabine). Aucun Premier Prix non plus pour violon, mais deux Seconds Prix ex-aequo pour l’Arménien Kayayzan Haik (29 ans) qui se montre plus brillant dans la redoutable Fantaisie pour violon et piano de Schumann que la Moldave Conunova Alexandra (23 ans) dans un extrait de la Sonate n°2 en fa mineur, op 6 d’Enesco.

Le miracle viendra pourtant du Chinois Tian Bonian (25 ans), vainqueur de la première édition du Concours de violoncelle (dans le jury duquel siégeaient Frans Helmerson, Arto Noras, etc.) Son interprétation du Concerto pour violoncelle de Dvorak, d’un lyrisme épanoui et d’une perfection instrumentale exemplaire, marche sur les brisées de Yo-Yo Ma.

Accompagné avec attention et précision par le chef Gheorghe Costin et l’Orchestre d’Etat « Moldova » de Iaþi, il donne de cette page une version de toute beauté, fluide, élégante, altière et très narrative. Un soliste déjà en possession d’un art accompli avec lequel il faudra compter !

Lors du même concert de gala, l’audition de Mysterious Palace de la Chinoise de Hong-Kong Lan-Chee Lam, primée en 2009 au Concours de composition, révèle une écriture colorée et d’une acuité rythmique qui rappelle de manière fugace Le Sacre du Printemps. Une partition de dix minutes où l’éclat n’est jamais superficiel mais intégré à une construction solidement architecturée. En revanche, il faudra patienter en 2013 pour entendre in vivo les œuvres des trois Sud-Coréens (1) couronnés par leurs pairs (au nombre desquels figuraient le Français Bernard Cavanna et le Polonais Zygmunt Krauze).

Ouvert le 1er septembre, le Festival offre en plus de trois semaines un inventaire prestigieux du paysage musical dans des lieux chargés d’histoire comme la salle néo-classique de l’Athénée roumain due à l’architecte français Albert Galleron, inaugurée en 1888. A la tête de l’Orchestre Philharmonique George Enesco, Gennady Rozhdestvensky interprète Ivan le Terrible de Prokofiev dans l’immense salle Mare a Palatului (2900 places), avec une grandeur impressionnante (comme à Paris la saison dernière, il déclame lui-même de manière suggestive le rôle d’Ivan). On est moins sensible en revanche à l’exécution un peu molle du Concerto pour piano n°1 de Prokofiev (en soliste, son épouse Victoria Postnikova n’est pas à la hauteur de l’enjeu) ou à la lenteur extatique du poème symphonique Vox Maris d’Enesco qui, sous sa baguette, demeure trop statique. L’immobilisme n’est pas l’apanage de Valery Gergiev venu avec ses troupes de l’Orchestre Symphonique du Théâtre Mariinsky. Démonstratif dans l’Ouverture de Tannhäuser, puissant mais extérieur dans Une Vie de Héros, il convainc davantage dans Prométhée de Scriabine, souffrant toutefois du peu d’implication d’Alexander Toradze dans la partie pianistique.

Le second concert de Gergiev laisse une impression elle aussi mitigée : la parodie burlesque Naughty Limmericks de Rodion Shchedrin est incisive à souhait, mais malgré son engagement dans la Symphonie n°3, op 21 d’Enesco, le chef alourdit la pâte sonore et fait perdre de vue la subtilité d’un compositeur qui fut l’élève de Fauré. Les Tableaux d’une Exposition orchestrés par Ravel pèchent par un même défaut de lourdeur et d’épaisseur en dépit de l’excellence d’un orchestre taillé à la mesure de l’œuvre (cordes denses, cuivres éclatants).

Changement de climat avec la venue de l’Orchestre Symphonique Gulbenkian dirigé par Lawrence Foster qui propose l’un des concerts les plus intéressants de la série : après une impressionnante exécution de la complexe pièce 4th of July de Charles Ives, la lecture très expressive de la Symphonie n°2 « The Age of Anxiety » de Leonard Bernstein bénéficie de la participation de la pianiste Dana Ciocarlie, d’une puissance et d’une rythmique implacable y compris dans les parties jazzy. On retrouve l’esprit d’Enesco avec une Suite n°3 « Villageoise », op 27, proche de la musique populaire, avant que les Variations sur un thème de Purcell de Britten ne concluent avec alacrité.

Daniel Barenboïm invite à deux concerts avec son Orchestre de la Staatskapelle de Berlin où, chef et pianiste, il prouve encore une fois le phénomène qu’il est. Toutefois, dans les Concertos n°22 et 24 de Mozart, l’absence de simplicité parfois insupportable dans les mouvements lents, un pathos proche du romantisme, font oublier le merveilleux interprète qu’il était jadis dans les mêmes œuvres avec l’English Chamber Orchestra. Très construite, d’une organisation implacable, la Septième Symphonie de Bruckner qu’il dirige par cœur restera en revanche un grand moment, tout comme une Dante-Symphonie de Liszt où son métier subjugue (en particulier dans la mise en cohérence des chœurs et de l’orchestre dans le Magnificat final).

Avec l’Orchestre National Philharmonique de Hongrie, Zoltan Kocsis confirme ses immenses dons de musicien aussi bien dans la Suite de danses de Bartók que dans la Symphonie n°2, op 17 d’Enesco, d’une ampleur symphonique grandiose. Dans le Concerto n°2 de Bartók, Boris Berezovsky est oublieux de la poésie, victime d’une virtuosité trop exacerbée qui l’empêche de respirer.

Enfin, le concert de musique de chambre donné par le violoncelliste Adrian Brendel (en présence de son père, fait Docteur Honoris Causa de l’Université de Bucarest le même jour) avec le pianiste Tim Horton ne manque pas d’intérêt dans la Sonate en la mineur de Zemlinsky ou la Sonate n°1 d’Enesco. Néanmoins, le son plein et dense du violoncelle ne s’accorde guère avec le jeu percussif d’un pianiste plus à l’aise dans Webern (Trois Pièces op 11) que dans la répertoire post-romantique.

L’édition de 2013 s’annonce sous les meilleurs auspices. Le directeur du Festival, Mihai Constantinescu, annonce d’ores et déjà une Tétralogie en version de concert avec Marek Janowski et son Deutsches Symphonie-Orchester Berlin pour le bicentenaire Wagner, mais n’oubliera pas, bien sûr, George Enesco, compositeur fétiche de la manifestation.

Michel Le Naour (1)En musique de chambre, sont ex-aequo :  Kwang – Ho (Garnio) Cho pour Cytisus/A-Phonie, et Mihyun Woo  pour The Play of Light for String Quartet. Le poème symphonique The Human  de Chang Eunho  obtient un Premier Prix de musique orchestrale.

Bucarest, Festival et Concours International George Enesco : Société roumaine de la radiodiffusion, Athénée roumain, salle Palatului, du 10 au 14 septembre 2011 http://www. festivalenescu.ro

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Photo : DR
 

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