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Festival de Colmar - Inoubliable Sokolov - Compte-rendu

Fondé en 1979 par le chef d’orchestre Karl Münchinger (1915-1990), le Festival International de Colmar fête ses vingt-quatre étés. Son actuel directeur artistique, Vladimir Spivakov, a souhaité rendre hommage à ce grand musicien et à son Orchestre de Chambre de Stuttgart créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale qui se spécialisèrent dans l’interprétation de Jean-Sébastien Bach et laissèrent au disque des incunables.

Dans la chapelle Saint-Pierre, les instrumentistes à vent sont à l’honneur dans deux pièces maîtresses du répertoire de musique de chambre : les Quintettes en mi bémol de Mozart et de Beethoven. Le pianiste arménien Vahan Mardirossian dialogue avec le hautbois piquant de Nora Cismondi, la clarinette sensuelle de Pascal Moraguès, le cor coloré de Pierre Moraguès et le basson enjoué de Patrick Vilaire. Ils préfèrent mettre en avant la profondeur plutôt que l’élan juvénile, mais la qualité instrumentale de leur interprétation emporte l’adhésion.

Dans l’église Saint-Matthieu à l’acoustique très réverbérée, David Fray fait flèche de tout bois dans le Concerto pour clavier n°1 en ré mineur de Bach face à un Orchestre de Chambre de Stuttgart assez dolent sous la direction de Wolfram Christ (l’ancien altiste solo de la Philharmonie de Berlin). Les instrumentistes de l’Ensemble allemand retrouvent leurs marques avec le hautboïste François Leleux dans des transcriptions d’airs de La Flûte enchantée et de Don Giovanni. L’aisance ludique et le naturel contagieux du soliste (dont une époustouflante exécution de l’air de La Reine de la Nuit) repoussent les limites de la vocalité et de la virtuosité. En revanche, le Quintette à cordes n°2 de Brahms transcrit par Iain MacPhail ne fait pas oublier l’original et alourdit le contenu de l’œuvre ; l’engagement du chef (plus musicien que technicien) tempère l’opacité des développements.

Dans le même lieu, le récital de Grigory Sokolov s’avère envoûtant de perfection et d’imagination (Deuxième Livre de la Suite en ré de Rameau, avec des trilles à se pâmer, et Sonate KV 310 de Mozart, vif-argent). Les Variations sur un thème de Haendel de Brahms manifestent une force et une puissance de construction qui rappellent l’énergie transcendée de Gilels dans ses meilleurs jours. Les trois Intermezzi op 117, proches de la méditation poétique, laissent pour leur part le public en apnée. Après ce moment d’éternité, Sokolov, toujours aussi concentré, revient pour six généreux bis (des pages de Schumann et de Scriabine et la fameuse transcription de l’air d’Orphée de Glück par Siloti). Un concert inoubliable par l’un des artistes les plus fascinants de notre temps !

Michel Le Naour

Colmar, Eglise Saint-Matthieu et Chapelle Saint-Pierre, 5 et 6 juillet 2012

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Photo : DR
 

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