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Fazil Say et l’Orchestre de Chambre de Paris – Boule de vie - Compte- rendu

Un programme finement composé, ouvert et refermé sur Schumann, de l’ouverture Genoveva à la Symphonie n°4, ces deux œuvres enchâssant deux joyaux de la séduction pianistique, le Concerto n°2 pour piano de Saint-Saëns et la mythique Chaconne de Bach transcrite par Busoni. Brillant programme donc, mené aux sommets par Fazil Say, vedette dont les triomphes n’ont rien d’immérité et auquel le temps n’enlève rien de son amour fou pour la musique, et de la fraîcheur avec laquelle il le communique. Trop rare en France, le phénomène continue de donner des chocs salutaires : ici, particulièrement dans le 1er mouvement du Concerto de Saint-Saëns, c’est avec une poésie intense, une liberté de chaque instant, qu’il a promené l’auditeur dans cette sphère aussi lyrique qu’électrique.
 
On sait, pour l’avoir souvent constaté, que malgré sa façon de jouer mouvementée, et sa virtuosité diabolique, le pianiste est d’autant plus spectaculaire qu’il ne cherche pas à l’être : balançant son corps et ses pieds comme un pianiste de jazz, faisant miroiter toutes les facettes du Concerto, avec d’infinis et constants changements de plans sonores, comme s’il caressait le vent, le tout sans jamais s’éparpiller ni perdre la pulsion axiale. Bénéfique assurément, Say est une sorte de boule de vie, un artiste qui aide à élargir la perception du monde.
 
Après le musicien solaire, venait ensuite le lunaire, infiniment nostalgique, cherchant, loin dans le ventre du piano, des vibrations anatoliennes, les transférant dans le Nouveau Monde d’un Gershwin, les épanouissant et les faisant chanter comme un Rachmaninov dans trois pièces de sa composition, jouées en bis, notamment le fameux Black Earth. On a un peu moins aimé peut-être l’excès de liberté dans la Chaconne, où le compositeur de grand talent qu’est Say lui-même faisait un peu concurrence à l’alliance déjà risquée entre Bach et Busoni : jouée comme un feu d’artifice entre deux plages de recueillement, mais sans retrouver l’impression d’édification d’une cathédrale, qui la rend si impressionnante.
 
Autour du monstre sacré, l’Orchestre de Chambre de Paris n’a pas démérité: tonique et plein d’entrain, avec des sonorités un peu métalliques. On a notamment remarqué la qualité des cors dans la fameuse montée du dernier mouvement de la Symphonie n°4 de Schumann, où de plus grands orchestres français réussissent de superbes couacs. Reste le problème de la direction: peu sensible dans le Concerto de Saint-Saëns où Fazil Say vampirisait l’impact de l’œuvre, mais en revanche dans Schumann, quel ennui ! Sir Roger Norrington a assurément un passé respectable, dont il n’est plus resté, du moins pour ce concert, qu’une battue monotone et raide, et une absence totale de vie, d’élan, avec quelques sursauts brutaux pour faire illusion. Alors que Schumann n’est ici qu’humeur fantasque, nécessitant une respiration et une liberté de ton qui donnent à l’œuvre sa couleur, sa grâce musclée mais non militaire. Bien qu’il n’ait rien joué de lui, c’est Fazil qui rappelait ce soir là Schumann à notre souvenir.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 12 février 2014

Photo © Marco Borggreve

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