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Euphonia 2344 de Michaël Levinas en création mondiale au Festival Berlioz 2019 - Séduisant mélodrame lyrique - Compte-rendu

Euphonia ou la Ville musicale est une nouvelle d’anticipation écrite par Berlioz, où il imagine une cité idéale vouée à la musique en l’an de grâce 2344 – une sorte de manifeste esthétique. Les personnages principaux de l’action de ce conte se nomment Xilef, compositeur, Shetland, autre compositeur et ami de Xilef, et Minna, cantatrice dont Xilef est éperdument amoureux. Le compositeur Michaël Levinas (né en 1949) en a repris le sujet, sur le texte même de Berlioz, d’abord dans une première version en 2003, mais dont il n’était pas entièrement satisfait, puis une version remaniée et définitive, plus étoffée dans l’orchestration et le chant, créée lors de ce Festival du Cent-cinquantenaire et intitulée Euphonia 2344.
 
Le livret, entièrement tiré de Berlioz avec de légères adaptations du compositeur lui-même, reprend la nouvelle originale, sa narration et ses différents participants. Ou Berlioz librettiste de musique contemporaine, à partir d’un texte qui appelait, il est vrai, la musique. Levinas a choisi une formule qui s’apparente au mélodrame lyrique, avec une constante déclamation et des passages alternant parlé-chanté et chant au-dessus d’un chœur et d’un orchestre. L’assemblage se fait prenant et convaincant, sur une musique qui n’hésite pas souvent à la consonance ou à des citations (de Gluck et de Berlioz), dans une continuité dramatique théâtralement pensée (à condition de suivre le livret remis aux spectateurs, en l’absence de tout surtitre). Une réalisation séduisante qui renouvelle le genre du mélodrame lyrique (illustré historiquement par Georg Benda, Rousseau et… Berlioz dans Lélio).
 

Dans la chapelle de la Fondation des apprentis d’Auteuil, évocateur édifice du XIXe siècle, la représentation de la pièce est à la charge de l’Ensemble Orchestral Contemporain, du Chœur Spirito préparé par Nicole Corti, d’un bouquet de solistes vocaux, sous la direction de Daniel Kawka et une mise en espace de Stanislas Nordey. L’interprétation épouse au plus près les intentions du livret et de la musique, avec des voix quelque peu sonorisées (selon les désirs du compositeur, pour s’accorder à certains effets d’électroacoustique).
 
Le baryton Mathieu Dubroca distille le personnage de Xilef d’un élan fermement déclamé entre un chant joliment lisse. La soprano Élise Chauvin (photo) s’empare du rôle de la cantatrice Minna avec ce qu’il faut de passages en colorature lyrique échevelée. Le haute-contre Guilhem Terrail (photo) campe un Shetland assuré. Alors que les 12 voix du Chœur Spirito interviennent avec élan. Tout comme l’orchestre dans sa partie assez parcimonieuse, sous la direction précise de Kawka. La mise en espace ajoute une touche de mouvements, éclairages et gestes en phase avec le propos. Succès des interprètes et du compositeur  – et du librettiste ? – auprès d’un public conquis.
 
Pierre-René Serna

Festival Berlioz, La Côte-Saint-André, chapelle de la Fondation des apprentis d’Auteuil, 24 août 2019

Photo © Festival Berlioz -

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