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Eugène Onéguine à l’Opéra royal de Wallonie - Liège – Le Rouge et le Blanc – Compte-rendu

La Révolution Russe en trois époques, tel est le parti choisi par Eric Vigié pour son Onéguine. Premier temps, la rencontre dans la datcha de campagne. Ambiance Tchekhov, avec thé, jeunes filles en fleur, émois littéraires, escarpolette et pope barbu. Le chœur, dirigé par Denis Segond, fait montre d’une puissante ferveur. La jeunette, angoissée par la rédaction de sa lettre d’amour, s’abrite dans un jardin d’hiver. Les éclairages et le ciel changeant imaginé par Henri Merzeau sont d’un bel effet.
 
Deuxième période, la révolte. Onéguine a offert à Tatiana un foulard rouge, fil conducteur des événements qui vont suivre. Depuis le bulbe calciné d’une église, elle assiste, de noir vêtue, au combat d’amour et d’idées que se livrent Eugène et Lenski. Celui-ci est du côté des Blancs, comme la famille de Tatiana. Onéguine a choisi les Rouges malmenant les nantis d’hier. Leur duel meurtrier s’effectuera dans une ambiance neigeuse et bleutée, seule concession faite à la tradition.
 
© J. Berger – Opéra Royal de Wallonie

La dernière partie se déroule sous l’ombre de Lénine et de Staline. C’est peut-être lui que Tatiana a épousé, tant ce prince Gremin, avec moustache et décorations, lui ressemble. La jeune fille de jadis est devenue la favorite du nouveau régime. La voici star d’un film expressionniste intitulé Jalousie, projeté durant l’air de Gremin … et que personne ne regarde tant l’oreille et le regard sont attirés par le toujours stupéfiant Ildar Abdrazakov (photo à g.). Sa présence écrase alors le reste de la distribution et relègue au goulag de l’indifférence l’Onéguine falot de Vasily Ladyuk (photo à dr.).
 
Les intentions d’Eric Vigié, si elles font sens, souffrent néanmoins d’un travail d’acteurs riche en mimiques appuyées et en gestes convenus. Sans oublier de dommageables facilités, comme ces éclairs orageux pour les états d’âme de Tatiana ou l’escarpolette qui ne cesse de monter et descendre. Pour symboliser un ascenseur émotionnel ?
 
La direction de Speranza Scapucci obtient du quatuor des cordes l’intense flamme indispensable à la passion désespérée de Tchaïkovski. Si la fosse limite le fondu orchestral et rend les cuivres lourds, la partition reste servie sans défaut, notamment par les bois. Ce manque de liant est surtout le fait d’un public mettant au même niveau d’enthousiasme l’opéra romantique et le bel canto. Il applaudit systématiquement après chaque air, chœur ou danse, nuisant de ce fait à la progression dramatique.
 

Maria Barakova (Olga) © J. Berger – Opéra Royal de Wallonie

Après Abdrazakov, Ruzan Mantashyan (photo au centre) remporte tous les suffrages. Timbre plein et cuivré, intensité du jeu, physique de star (beau dernier acte en robe rouge et cheveux crantés à la mode 1930), la soprano arménienne est cette femme bouleversée autant qu’elle a été cette jeunette à qui Onéguine fit un cinglant « râteau ». En Olga, Maria Barakova ne manque pas de chien, tout comme la Filipyevna de Margarita Nekrasova. Alexey Delgov campe un Lenski introverti et torturé tandis que Thomas Morris, remplaçant Guy de Mey, amuse la galerie avec ses couplets à la française. En avoir fait un photographe reporter de guerre n’était peut-être une bonne idée. Néanmoins les ovations ayant accueilli toute l’équipe en ce soir de première montrent qu’Eric Vigié a atteint son but ; séduire en interrogeant (un peu) l’œuvre.
 
Vincent Borel

Tchaïkovski : Eugène Onéguine – Liège, Théâtre Royal de Wallonie, 22 octobre ; prochaines représentations les 26, 28 et 30 octobre 2021 / www.operaliege.be/   Le spectacle sera diffusé en direct sur CultureBox le jeudi 28 octobre à 20h, et sur Mezzo avant la fin de l’année 2021
 
 
Photo © J. Berger – Opéra Royal de Wallonie
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