Journal

Don Giovanni et Cosi fan tutte selon Adrian Noble à l’Opéra de Lyon - Mozart des Amériques - Compte-rendu


Un Don Giovanni dans le Manhattan des années vingt, un Cosi fan Tutte West Coast au temps à peine esquissé du mythique Flower Power, on voit déjà sourcils et épaules se lever.

Mais ces transpositions indolores sont finement déclinées par Adrian Noble, qui y met tout son art de directeur d’acteur et des idées faisant souvent mouche, comme ce Don Giovanni s’extrayant des égouts au début du II, déguisé en travelo pour échapper à ses poursuivants. Tous les registres sont abordés, du vertige amoureux omniprésent dans Cosi fan tutte, à la violence à peine contenue dans Don Giovanni, mais sur ce vaste kaléidoscope, Noble apporte un sourire impromptu qui fait un parfait écho à la musique de Mozart.

La musicalité est d’ailleurs l’élément fondateur de ces lectures sans prétention mais pourtant senties, vives de mouvement, profondes de sentiment. D’emblée le théâtre des émotions de Cosi fan tutte s’y inscrit plus naturellement que ne le pourraient les escarpements dramatiques de Don Giovanni, mais le langage est si puissant, sans pour autant solliciter, qu’on ne peut nier la présence d’un vrai univers.
br>

Si l’œil pétille et s’émeut, l’oreille souffre parfois, surtout dans Don Giovanni. Markus Werba fait son Don mordant à souhait et sans métaphysique, aidé par un jeu athlétique. En scène il est admirable, de voix un peu rêche : on l’a connu en meilleure forme. Lionel Lhote ne va chercher son Leporello bien loin : valet buffo de tradition il ne quitte jamais son rang, se gardant bien de jouer le jumeau de son maître qu’on nous sert si souvent depuis José van Dam. Retour probablement salvateur aux canons de l’emploi mais que l’on ne peut s’empêcher de trouver un peu court.

Deux pailles viennent tout fragiliser : Helena Juntunen fait son Elvira assez maniérée jusque dans la caractérisation du chant, grands gestes, petit format. Maria Bengtsson peine avec la justesse et son Anna sans souffle demeure périlleuse. Mais si l’on considère que Zerlina est le seul personnage de tout l’opéra à échapper au buffo, alors Elena Galitskaya est une merveille : pureté du chant, longueur et flexibilité de la voix, élégance scénique imparable, elle a tout pour elle mais doit faire avec un Masetto perdu dans sa tessiture : basse de timbre, plutôt baryton par le placement, Grigori Soloviov devra choisir.

Un commandeur percutant (Andreas Bauer), et surtout un Ottavio finement joués et admirablement chanté, plus par le style et la ligne que par la seule séduction du timbre, Daniel Behle, rétablissaient en quelque sorte l’équilibre. Sur tout cela la direction incertaine de Stefano Montanari, très décidée dans l’ouverture à aller vite et fort, puis s’enlisant dans l’intrigue, mettait comme une incertitude qui n’aidait guère le spectacle.

Le lendemain, le même chef menait tambour battant un Cosi fan tutte assez vertigineux. Battue fulgurante qui poussait ça et là les chanteurs dans leurs limites, mais c’est au prix de ce danger que l’œuvre prend toute sa puissance dramatique. Pourtant, on grinçait des dents souvent devant les timbres bruts, les accents péremptoires, le manque d’air de l’ensemble.

Plateau immaculé cette fois, avec le Ferrando assez amer de Daniel Behle, phrasant divinement, le Guglielmo sans façon, d’un bloc, de Vito Priante, timbre profond vocalisation ardente, et le Don Alfonso jamais donneur de leçon d’un Lionel Lhote chez lui dans ce caractère. Maria Bengtsson se trouve bien mieux lotie dans la tessiture et la vocalité de Fiordiligi que chez Donna Anna mais, aussi désarmante qu’elle soit, la Dorabella ardente, au chant dardé, de Tove Dahlberg l’atomise. Dorabella, c’est elle, point à la ligne. Finement jouée, subtilement campée et parée de la voix du rôle, la Despina d’Elena Galitskaya enchantait une équipe finement appariée, en totale osmose avec un spectacle souvent poétique, capturant bien l’esprit de tristesse fugitive voulue par da Ponte et Mozart. Cosi fan tutte en sortait vainqueur comme par évidence.

Mozart : Don Giovanni et Cosi fan tutte
Opéra de Lyon, les 24 et 25 mars. Prochaines représentations le 29 (Don Giovanni) et le 30 (Cosi) mars 2011

www.opera-lyon.com

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Jean-Charles Hoffelé

Photo : Jean-Pierre Maurin

Partager par emailImprimer

Derniers articles