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​Concert « Ravel et l’Espagne » à Tourcoing (reprise à Paris, TCE, 22 mai) – Idéfix chez les Ibères – Compte-rendu

 
Avant de le présenter au Théâtre des Champs-Elysées le 22 mai, François-Xavier Roth donnait ce mardi 21 mai le concert intitulé « Ravel et l’Espagne » au Théâtre municipal de Tourcoing où son orchestre est en résidence. Un programme symphonique et lyrique entièrement consacré à Maurice Ravel, et plus précisément, comme son titre l’indique, aux œuvres directement inspirées par le pays voisin de sa ville natale. Il ne manque guère que la Pavane pour une infante défunte, mais celle-ci n’étant guère hispanique que par son titre guidé par un goût pour l’allitération, on peut considérer que toute l’Espagne de Ravel est là. Programme copieux et exigeant : en 2015, Nantes, Pascal Rophé à la tête de l’Orchestre national des pays de la Loire donnait un programme qui, outre L’Heure espagnole (avec le même Muletier qu’à Tourcoing, on y reviendra), incluait la même Alborada del gracioso mais aussi des extraits du Tricorne de Manuel de Falla. François-Xavier Roth, lui, n’économise ni ses forces ni celles de son orchestre, puisque la première partie du concert aligne, en plus de la susdite « aubade », la Rapsodie espagnole et surtout l’exigeant Boléro.
 
Dès les premières mesures de l’Alborada, l’oreille est surprise par la clarté absolue que le chef fait régner dans cette partition. Le tempo est mesuré, ce qui vaut à l’auditeur une exécution jamais bousculée, toujours ciselée dans le moindre détail, en faisant valoir les couleurs des instruments des Siècles. Pour autant, la tension est bien présente, et l’on perçoit ici un peu de cette « idée fixe » qui hante le Ravel d’après la Première Guerre mondiale : c’est en 1919 qu’il orchestre cette pièce pour piano de 1905, et cela s’entend. Avec la Rapsodie espagnole, François-Xavier Roth étonne en revanche par l’allant avec lequel il dirige le Prélude (trop d’orchestre « ânonnent » les quatre notes obstinément répétées pour évoquer la nuit), après quoi les danses s’enchaînent sans répit, jusqu’à la récapitulation finale de la Feria. Evidemment, l’idée fixe est aussi au cœur du Boléro, qui permet aux différents solistes de l’orchestre de briller tour à tour, et l’on est admiratif devant les performances des vents qui se succèdent dans les différentes itérations du motif, avec le caractère acidulé des petites flûtes, l’articulation de la clarinette, la sensualité du saxophone… Instruments d’époque bien sûr, et le résultat prouve le bien-fondé de cette démarche.

 

 
Ce Boléro, l’orchestre et son chef l’avaient enregistré pour un disque sorti en 2023, accompagné de L’Heure espagnole.(1) On retrouve ce soir le premier des deux chefs-d’œuvre lyriques de Ravel, et l’on aurait dû également y retrouver les cinq chanteurs du disque, mais le sort en a décidé autrement, de sorte qu’à l’arrivée, la distribution propose un croisement entre la distribution de l’enregistrement… et celle du spectacle présenté à l’Opéra-Comique en mars.(2) En Gonzalve, Julien Behr initialement annoncé est donc remplacé par Benoît Rameau, brillant poète auquel ne manque qu’un léger surcroît de projection pour que son texte soit aussi totalement intelligible que celui de ses collègues ; en en Don Inigo, on retrouve un Nicolas Cavallier qu’on sent un peu corseté pour respecter l’écriture implacable de Ravel, mais dont le naturel théâtral n’en éclate pas moins à chaque mesure. Les trois autres interprètes sont ceux que l’on entend au disque. Loïc Félix est un Torquemada de classe, un cocu magnifique à la diction superbe et au chant élégant. Quant aux deux rôles principaux, leur incarnation (car chacun joue ici son rôle comme il le ferait sur scène, même s’il n’y a ni décor ni horloges) est des plus mémorables. On savait, pour l’avoir entendu à Nantes il y a près de dix ans, que Thomas Dolié était un Ramiro idéal : on le retrouve totalement à l’aise dans le personnage et parfaitement maître de sa tessiture, et l’on savoure grâce à lui chacun des mots de Franc-Nohain. Et Concepción, dont on connaît quelle est l’idée fixe, le jour de la semaine où son mari s’absente, elle n’a plus de secret pour Isabelle Druet, qui en vit à chaque instant le drame et la bouffonnerie, avec un talent consommé de comédienne et un art du chant qui fait regretter, une fois de plus, que cette grande artiste – sublime dans Les Troyens à la Côte-Saint-André, entre autres – ne soit pas toujours employée comme elle le mériterait.
 
Laurent Bury
 

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(1)        Harmonia Mundi HMM 9053
(2)        www.concertclassic.com/article/pulcinella-lheure-espagnole-lopera-comique-drole-de-couple-compte-rendu
 
Maurice Ravel : Alborada del gracioso ; Rapsodie espagnole ; Boléro ; L’Heure espagnole – Tourcoing, Théâtre municipal Raymond Devos, 21 mai 2024 // Reprise le 22 mai au Théâtre des Champs-Elysées //
 
www.theatrechampselysees.fr/saison-2023-2024/orchestres-invites/les-siecles-roth-1

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