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Compte-rendu : Sasha Waltz fait danser la folie meurtrière de Médée - Medea de Dusapin à Bruxelles

Pascal Dusapin

Pascal Dusapin (né en 1955) se méfie des metteurs en scène comme de la peste ! Il a bien raison : on ne compte plus les nouveaux opéras morts nés pour cause de mauvais traitement scénique. Il jubile, en revanche, devant les fulgurances de sa nouvelle complice la chorégraphe allemande Sasha Waltz qui a transfiguré l’avant dernier de ses six ouvrages lyriques Medea écrit sur un texte de Heiner Müller (1).

Mélodrame avec une seule héroïne, Medea fait songer aux Cantates de Berlioz ou de Haydn mâtinées de Pierrot Lunaire. Le soliloque y est tempéré par la présence d’un choeur de chambre et d’un orchestre. Sasha Waltz y ajoute quatorze danseurs de sa troupe qui assurent tout d’abord un lever de rideau muet en guise d’ouverture : lovés sur le sol en position fœtale, ils roulent lentement sur eux-mêmes pour constituer, puis briser une manière de cercle magique au centre duquel va s’inscrire le drame et se perpétrer le meurtre rituel des deux enfants que Médée a donnés à son infidèle Jason. Ce sont ici deux petits élèves de l’école de danse de Sasha Waltz… sa fille et son fils !

Le plus intéressant, le plus théâtral, c’est le doigté avec lequel la chorégraphe berlinoise parvient à fusionner choristes et danseurs, un peu à la manière de ce qu’avaient si génialement réussi dans Atys de Lully Francine Lancelot et Béatrice Massin. L’idée qui a le plus séduit Pascal Dusapin… et le public, c’est la façon qu’a trouvée Sasha Waltz de rendre la force tellurique, indomptée de la tempête qui va finir de déboussoler l’héroïne : elle a placé trois énorme turbines d’avion de chaque côté de la scène qui se mettent soudain à mugir et à faire vaciller les silhouettes des danseurs malmenées comme des torches. Une vraie idée de théâtre.

Comme chacun sait, le vent rend fou et Médée va perdre ce qui lui restait de repères. Elle va même perdre un instant sa voix chantée et se mettre à parler comme la Callas dans le film éponyme de Pasolini. Cette Médée impressionnante par son humanité, c’est la soprano allemande Caroline Stein magnifiquement soutenue par les dix-huit choristes de l’Ensemble vocal de Berlin. A la tête de l’orchestre de La Monnaie, l’un des plus grands chefs de chœurs de sa génération, l’Anglais Marcus Creed épuise le profond lyrisme de la partition. Justice est rendue à un mythe universel apprivoisé par la musique et la danse.

Jacques Doucelin

Dusapin : Medea - Bruxelles, Opéra royal de La Monnaie, le 11 avril 2010 (1) Ce spectacle sera présenté à Paris au Théâtre des Champs Elysées durant la saison 2011-2012. Auparavant, la salle de l’avenue Montaigne aura affiché le dernier opéra de Pascal Dusapin, Passion, dans une nouvelle production de Sasha Waltz, les 6, 8 et 10 octobre prochains.

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Photo : Sebastian Bolesch
 

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