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Compte-rendu : The Rake’s Progress à l’Athénée - Un débauché sans… morale

Tout un spectacle en noir et blanc : la scène, le praticable carré où se concentre l’action comme les costumes des musiciens et des protagonistes ont la couleur de l’aube des premiers communiants. Seul Nick Shadow, l’ombre, le double infernal de Tom, est tout de noir vêtu. A mesure qu’il avancera dans sa carrière immorale, Tom arborera les couleurs de Nick. Le contraste avec les dorures et la profusion rococo du Théâtre de l’Athénée est totale et parlante : The Rake’s Progress (La carrière du débauché) d’Igor Stravinski est une fable morale tirée des célèbres gravures d’Hogarth où le trait l’emporte sur la couleur. Cet opéra créé en 1951 à La Fenice de Venise garde quelque chose du théâtre de tréteaux illustré par L’Histoire du soldat qui remonte à la première guerre mondiale.

On peut voir, en effet, des marionnettes dans ces figures du couple d’amoureux (Anne et Tom), du père, de la prostituée et du diable… C’est la musique qui pose des touches de couleurs et instille la vie à ces stéréotypes. Le génie du compositeur est d’avoir joué sur tous ces registres pour mieux brouiller les pistes : ses emprunts à Mozart et à la vocalité italienne au début comme le découpage du poète librettiste Auden qui a constamment présent à l’esprit le vieux masque anglais mâtiné d’opéra comique sont venus nourrir le canevas originel. On se demande bien pourquoi les responsables du spectacle ont renoncé au quintette final qui tire la morale de l’histoire. Car le Rake’s Progress est plus proche par sa facture et son esprit de Cosi fan tutte que de Don Giovanni dont le lieto final n’est pas obligatoire. On ne peut supprimer la fin du Rake’s progress sans dommage.

Le metteur en scène et scénographe Antoine Gindt qui, à la tête de « Théâtre et Musique », œuvre depuis 1997 pour l’insertion des jeunes interprètes et pour le répertoire lyrique contemporain, a cherché à alléger au maximum remplaçant le pittoresque par l’allusion à l’aide de projections et de dessins à la plume qui descendent des cintres sans encombrer un espace scénique encore réduit par la présence des jeunes du Conservatoire de Paris en formation Mozart. Dirigés par Franck Ollu, ils enserrent le praticable, soutenant les chanteurs sans jamais les gêner. Jolie façon de démontrer ce qu’une orchestration réussie peut apporter au propos dramatique. Certains pourront regretter que le metteur en scène ait fusionné les deux personnages féminins diaboliques, Mother Goose et Baba la Turque : mais ne sont-elles pas interprétées toutes deux par la superbe mezzo écossaise Allison Cook ? C’eût été dommage de l’enlaidir d’une fausse barbe au nom de la tradition…

La distribution, anglo-saxonne à l’exception du ténor français Paul Alexandre Dubois en commissaire priseur, est équilibrée et joue au mieux d’un espace réduit à l’épure. Elle est dominée par le remarquable Tom du ténor américain Jonathan Boyd entouré de la soprano américaine Elisabeth Calleo, Anne, le baryton anglais Ivan Ludlow, Nick, et la basse germanique Johannes Schmidt, Trulove, aux voix encore juvéniles, mais pas sans charme. Une soirée qui réserve d’excellentes surprises, principalement musicales, mais qui souffre parfois de l’exiguïté du plateau.

Jacques Doucelin

Théâtre de l’Athénée le 24 novembre. Prochaines représentations : 26, 27 novembre (20 h), et 29 novembre (16 h.) 2009
Location : 01 53 05 19 19.
www.athenee-theatre.com

Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines : 2 décembre (Tél. : 01 30 96 99 00).

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Programme du Théâtre de l’Athénée

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Photo : DR
 

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