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Compte-rendu : Par des sentiers oubliés - Osmo Vänskä et l’Orchestre de Paris/ Jakub Hrusa et le Philharmonique de Radio France

L’ami Jacques Doucelin me fait remarquer à quel point la direction d’Osmo Vänskä évoque les silhouettes célèbres de Gustav Mahler. C’est tout à fait cela, le geste est précis, le corps se courbe pour aller chercher les pupitres, la baguette désigne un archet, une clarinette, leur tire le son, le tout dans une gestique impulsive mais pourtant contrôlée, hyperactive mais jamais dispersée. A sa manière du grand art. Le programme, peu voire pas couru (la 5e de Nielsen) par l’orchestre, de toute façon en dehors de son répertoire naturel, était périlleux. Eh bien, le concert fut simplement épatant.

Les équilibres que Vänskä produits, aidé par un Orchestre de Paris au mieux de sa forme, sont souvent oniriques dans La fille de Pohjola, qu’il dirige avec une sorte de distance esthétisante, loin de la trame dramatique du poème. Il restitue en fait l’intention première de Sibelius : créer avant tout un flot d’images qui vont jusqu’à se télescoper. Cette fantaisie symphonique se résume dans la formidable apparition d’un mystérieux monolithe sonore, une véritable barrière de cuivres, mené sur un impressionnant ressac des cordes. Barbirolli en élargissait le tempo, presque du double plus lent, Vänskä, plus objectif, le laisse dans la trame du mouvement général, choix qui lui permet de conclure l’éther final dans le mystère impassible du métronome. Il voit dans Sibelius le moderniste plutôt que le poète narratif.

Et il fait de même dans la redoutable 5e de Nielsen que Paris n’avait que trop rarement entendue jusque là : le geste est précis, la mise en place impeccable jusqu’à la cruauté, les équilibres sonores encore une fois foudroyant et révélateurs. Les maelströms du premier mouvement que Jascha Horenstein craignaient tant et qui d’ailleurs le conduisirent au malaise lorsqu’il enregistra l’œuvre, sont faramineux de puissance destructrice, avec sa caisse claire mitraillette, et son orchestre tout en déflagrations. Le final hymnique, cravaché, emporte tout dans sa course sans pourtant sacrifier les replis poétiques que Nielsen y dispose : c’est là que son énergie inextinguible se reconstitue, Vänskä les sait parfaitement intranquilles au fond.

Entre ces deux chefs d’œuvres nordiques s’invitait une des œuvres maîtresses d’Edward Elgar, son Concerto pour violoncelle à jamais marqué par l’archet de Jacqueline Du Pré. On attendait Truls Mork, mais il avait déclaré forfait, nous laissant la chance de découvrir une artiste de premier ordre que la partition inspire visiblement : Alisa Weilerstein est déjà bien connue de l’autre côté de l’Atlantique, elle se fait un nom en Europe depuis quelques saisons et c’est Daniel Barenboïm qui lui a d’ailleurs demandé de jouer à l’Europa Konzert le Concerto d’Elgar qu’il avait si souvent accompagné à son épouse.

Sur la trame subtile que lui tissent les Parisiens et Vänskä, Alisa Weilerstein chante avec pudeur mais dans un registre clairement lacrymal : toutes les brumes du Moderato initial sont plus funèbres qu’élégiaques, gagnant en émotion ce qu’elles perdent en mystère. Fabuleux épisode en pizz., dont chaque figure est une question sans réponse, final décidé mais dont l’élan se brise sans cesse comme sous le coup d’un rêve désillusionné, tout y est, la poésie comme la fièvre. L’archet est long, le son très centré va loin, l’art du phrasé est déjà souverain. Avantage certain : Vänskä écoute beaucoup et entre dans le projet de sa soliste.

Un mot de l’orchestre : sa sonorité a changé. Si Eschenbach lui a apporté des réflexes musicaux affinés, son nouveau directeur musical, Paavo Järvi a installé sa propre poétique : les timbres sont plus verts, le creusement des vents impressionne, les cordes s’individualisent, la petite harmonie est moins fondue. Toutes ces qualités, nécessaires à la musique française, vont également comme un gant au répertoire nordique.

Le surlendemain on affrontait à nouveau la morne acoustique de Pleyel pour un autre voyage en terres peu courues (du moins dans les salles de concert parisiennes), mais cette fois du balcon. Et ce que l’on entend du balcon à Pleyel est un enregistrement numérique aseptisé, rien d’autre. Bien la peine d’aller au concert.

Difficile de retrouver ses émotions dans le 1er Concerto de Szymanowski : si Jakub Hrusa le conçoit avec une clarté exemplaire, aussi bien pour la structure de l’œuvre que pour son écriture, l’archet raide, le violon court de son de Christian Tetzlaff déconcertait. Le programme avait bien tort de citer la Pandora de Nerval (« Ton ami flamboie et pétille ; on le touche, il en sort du feu »), car Tetzlaff ne produit que de la glace. Hors il faut ici chanter, vibrer, avoir du feu certes mais aussi une chanterelle éthérée et fulgurante (le concerto a été écrit pour et avec Pavel Kochanski), et un art des rythmes souple et allusif. Bref, il ne faut pas être un cœur sec. Et Tetzlaff, cela n’enlève rien à ses qualités d’instrumentiste, à l’œil et le cœur secs, ce n’est un secret pour personne. Cette parfaite erreur de casting (on tremble, il a enregistré l’œuvre avec Boulez qui n’a guère dû l’enflammer…) accentuait encore la science du jeune chef tchèque, son art consommé des équilibres, sa clarté agogique.

Mais Szymanowski veut-il tant d’objectivité et si peu de sensualité, la part moderniste de sa langue peut-elle passer à coté de l’esthétique décadente de son art en y restant si indifférente ?

Pour Asrael de Josef Suk , intense et vaste divagation d’orchestre, où tout n’est strictement que poésie dans la terreur comme dans la quête, le geste était tout aussi impeccable, l’orchestre admirable de précision et d’engagement, les solos d’Hélène Collerette magnifiques de chaleur, d’expressivité (c’est à elle, à sa sonorité généreuse qu’il aurait fallu confier le Szymanowski !). Hrusa y suit un récit initiatique éclairant, il comprend tout d’une partition pourtant difficile. D’où vient alors un relatif sentiment d’ennui ? De la couleur trop unie de l’orchestre (Suk écrit ses bois plus verts ou plus creux) ? Non, du chef lui même qui malgré son entendement profond de l’œuvre ne sait pas faire parler son orchestre. Ecoutez Talich ou Kubelik et vous entendrez les vraies phrases de cette musique, son art de dire, ses carrures nettement tranchées, toute une grammaire qui faisait ici défaut.

En fin de compte peu importe : on a découvert le plus beau talent de la jeune direction tchèque, et malgré les réserves, le Philharmonique a rempli l’une de ses vraies missions historiques : élargir le répertoire. Revenir a ce fondamental, c’est réintégrer l’objectif premier de cette formation.

Jean-Charles Hoffelé

Sibelius, Elgar, Nielsen, Alisa Weilerstein, violoncelle, Orchestre de Paris, Osmo Vänskä - Paris, Salle Pleyel, le 14 avril 2010

Szymanovski, Suk, Christian Tetzlaff, violon, Orchestre Philharmonique de Radio France, Jakub Hrusa - Paris, Salle Pleyel, le 16 avril 2010

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Photo : DR
 

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