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Compte-rendu : Les Fiançailles au Couvent de Prokofiev à l’Opéra Comique - Fiançailles en or


Paris n’avait jamais vu Les Fiançailles au couvent. Mazette, serions nous dans le fond si province ! Et justement c’est de Toulouse que nous vient la production toute fraîche de Martin Ducan, créée voici quelques jours sur la scène du Capitole. On n’avait plus vu l’ouvrage depuis la poétique proposition qu’en avaient réalisée Patrice Caurier et Moshe Leiser pour le Grand Théâtre de Genève en 1998, y mêlant habilement lyrisme et sarcasme, élan et ironie.

Le propos de Ducan est moins cherché mais tout aussi bien trouvé : une pointe d’ironie post-moderne (le quelque peu insistant soulignement des affaires piscicoles de Mendoza, mais pour une fois qu’on voit enfin ces poissons dont on parle tant au I), un peu d’esprit de vaudeville – Don Gérôme (l’excellent Brian Galliford) semble sorti tout droit du Dindon de Feydeau – une bonne dose de folie douce, quelques portraits bien crachés (la duègne de Diadkova, drôle à vous en rendre incontinent), quelques jolis ensembles de scènes ponctués d’idées toujours musicales (le coup des cuillères-clochettes, vous verrez à la fin), et le tour est joué.

Pour nous cela suffit, pas la peine de charger plus, et lorsque Duncan sent d’ailleurs la pente l’entraîner, il corrige le tir avec un clin d’œil : ainsi la bacchanale des moines se fige-t-elle un instant pour figurer la Cène. Dans ce petit théâtre malicieux, qui sent bon le bois frais des tréteaux, passe une folie douce très Sheridan, quelque chose de XVIIIe qui traînait déjà dans Le Tricorne de Falla, et pas seulement par le verni d’Espagne.

L’ouvrage est difficile à distribuer et cette fois parfaitement apparié jusque dans le trio des moines où brille le fort ténor de caractère de Vasily Efimov : tous méritent la palme, mais coté bête de scène, les « vieux «  sont impayables : Diadkova en grande voix et en grand train, formidable Mendoza de Mikhail Lalelishvilli, basse profonde et pourtant alerte, Galliford évidemment, inénarrable jusque dans son concert privé (assorti d’un numéro de trois musiciens loufoques). Mais Prokofiev a mis quelques-unes de ses plus belles idées mélodiques dans le gosier de Louisa, et Anastasia Kalagina s’y fait transcendante de poésie, avec ce timbré fruité et ambré qui n’est qu’à elle. Ses compagnons de fantaisie ne déméritent pas : joli Antonio de Daniil Shtoda, un peu petit de volume sonore, très évident Ferdinand de Gary Magee, au point d’en paraître effacé, somptueuse Clara d’Anna Kiknadze qui nous fait regretter que Prokofiev n’ait pas plus développé son rôle.

Le premier triomphe de la soirée fut pourtant celui de l’Orchestre du Capitole et de son chef. Tugan Sokhiev distille l’œuvre avec légèreté, ne saturant jamais une salle où le moindre forte vient habituellement vous brouiller les tympans. Miracle d’équilibriste, mais aussi de poète : on n’aura jamais entendu le quatuor des amoureux parvenir à ce point de magie, l’ombre de Mozart y passe soudain. Et pour la comédie, ce don de la légèreté et d’une fantaisie un rien lunaire, reste irremplaçable. On se demande bien ce qu’attend la Grande Boutique pour l’inviter. Puisque Prokofiev lui porte chance depuis ses trépidantes Oranges d’Aix, pourquoi pas la création de la version russe de L’Ange de feu ?

Jean-Charles Hoffelé

Prokofiev : Les Fiançailles au couvent - Paris, Opéra comique, le 28 janvier, prochaine représentations les 1er et 3 février 2011.
www.opera-comique.com

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Photo : DR

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