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Compte-rendu : Le Balcon d’Eötvös au Grand Théâtre de Bordeaux - Un opéra d’aujourd’hui qui marche

Au côté du Flamand Philippe Boesmans, le Hongrois Peter Eötvös (photo) s’impose comme le plus grand compositeur lyrique d’aujourd’hui. C’est ce que prouve cette reprise du Balcon au Grand Théâtre de Bordeaux. Créé dans l’été 2002 au Festival d’Aix en Provence dans une mise en scène de Stanislas Nordey, cet opéra tiré de la pièce éponyme de Jean Genet avait déçu après le succès mondial du premier ouvrage lyrique d’Eötvös, Trois Sœurs inspiré de Tchekhov en 1998. Le compositeur n’était pas content de son premier jet et il a remis tout l’ouvrage sur le métier. Homme de théâtre autant que de musique, il a modifié l’ordre des entrées en scène des protagonistes dans les premiers tableaux en même temps qu’il peaufinait son orchestration ajoutant même un orgue. Il nous confie à l’entracte qu’il n’était pas satisfait du tout de la création de son Balcon au Festival d’Aix.

Si le résultat est aussi convaincant, et séduisant pour le public bordelais, c’est que le patron de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, le jeune Canadien Kwamé Ryan s’est visiblement pris de passion pour cet opéra dont il a dirigé la création en Allemagne après avoir été l’assistant de Peter Eötvös. Il a une connaissance intime de la partition dont il mesure et distille les moindres intentions. Nous ne sommes pas au Grand Guignol, mais dans un cabaret berlinois des années 20 : telle est la volonté du compositeur. Sa musique a des inflexions sensuelles dignes de Kurt Weill. Jamais d’imitation ou de pastiche, mais une atmosphère que Kwamé Ryan saisit comme personne entraînant tous ses musiciens à sa suite, et d’abord les trois solistes qui montent sur scène pour mieux accompagner les chanteurs : le violon, la clarinette et la trompette.

Avec Eötvös, disciple de Stockhausen, tout est toujours théâtre indissociable de la musique. On pourrait dire que le propos et la langue de Jean Genet sont exaltés par sa partition : c’est la marque des plus grands de Mozart à Verdi. La théâtralité de la musique s’incarne magnifiquement dans la scénographie de l’Allemand Gerd Heinz et de Stefanie Seitz. Un balcon, ça permet de regarder le monde : pour mieux se montrer, celui-ci tourne, gros cylindre rouge comme les rideaux du théâtre, comme le sang des victimes de la révolution qui fait rage à l’extérieur. Mais ici on évite la caricature ou la farce grossière de l’Opéra de Quat’ sous : l’émotion est sauve, il y a de vrais duos d’amour et de mort… Le public réagit, rit à certaines situations ou réflexions parfois d’une brûlante actualité. L’acide de la satire n’épargne rien : cruauté assurée. En tout cas, si vous cherchez la recette pour faire aimer l’opéra d’aujourd’hui au vrai public, venez à Bordeaux !

La distribution est d’une redoutable efficacité, d’abord par la qualité de sa prononciation. La mezzo suisse Maria Riccarda Wesseling (Irma) n’a pas seulement l’autorité d’une mère maquerelle, mais aussi sa faille humaine et tout cela passe dans son chant d’une grande beauté. Chapeau aussi à sa suivante et amante la jeune Mélody Louledjan (Carmen), élève de Françoise Pollet et d’Edith Mathis. La mezzo polonaise Magdalena Anna Hofmann complète ce trio féminin aux prises avec de redoutables barytons : Jacques Schwarz, l’Evêque, Armand Arapian, le Général, Till Fechner, Arthur, Jean-Manuel Candenot, le chef de la police, sans oublier le Juge du ténor américain Julius Best. Tous ces enthousiasmes, toutes ces compétences contribuent au triomphe d’un moment de théâtre inoubliable. Peter Eötvös arborait un sourire modeste, mais un vrai sourire. Et on le comprend.

Jacques Doucelin

Peter Eötvös : Le Balcon - Grand Théâtre de Bordeaux le 22 novembre, puis les 23 et 25 novembre 2009

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Photo : Andrea Felvégi

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